Les vins du Nouveau Monde et les produits québécois

Décembre 1999. Les ventes de champagne explosent au Québec alors qu’on attend tous le tournant du millénaire, dans la crainte de l’infâme bogue de l’an 2000. Il n’en sera finalement rien.

Non seulement les systèmes informatiques tiennent le coup, mais les développements technologiques se suivront à une vitesse vertigineuse au cours des deux décennies suivantes. En 2000, Facebook n’existe pas; en 2010, c’est le site le plus visité au monde! Les ventes de vins effervescents continuent de plus belle, signe de l’engouement croissant des Québécois pour le vin, de leur curiosité et de leur ouverture sur le monde. Le nouveau millénaire sera sous le signe de la technologie et de la découverte.

À l’aube des années 2000, on compte 341 succursales de la SAQ dans toute la province et 6575 produits mis en vente. En 2020, le réseau compte 410 succursales, et près de 15 700 vins, spiritueux et autres liqueurs y sont commercialisés.

Nouveau millénaire, nouvelles succursales

À des années-lumière des comptoirs grillagés d’antan, les magasins de la SAQ instaurent désormais une ambiance de plus en plus conviviale, qui incite le client à la découverte. On peut maintenant y goûter des vins, jaser accords avec un personnel de mieux en mieux formé, faire des recherches sur des bornes interactives, rencontrer des vignerons. Au 21e siècle, on ne fait plus simplement des achats, on vit une expérience. Et des expériences, il y en a pour tous les goûts. En 2001, la première succursale Dépôt ouvre ses portes à Hull, pas encore devenue Gatineau — les fusions municipales suivront en 2002. À la même période, une deuxième SAQ Signature ouvre au Château Frontenac, à Québec, forte du succès que connaît celle de Montréal, ouverte en 1999.

Les pastilles de goût, présentées en 2009, encouragent les clients à essayer d’autres vins, basés sur leur profil de goût. Une initiative qui remporte un vif succès. Les expressions «aromatique et charnu» et «fruité et vif» sont passées dans le langage courant. Tout comme le verbe liker. L’avènement des téléphones intelligents — le iPhone apparaît en 2007 — change nos vies et nos comportements de consommateur. La SAQ ouvre son premier site transactionnel dès 2000, mais à partir de 2010, tout s’accélère: lancement d’une application mobile, développement des réseaux sociaux accompagné d’importants investissements dans la création de contenu, refonte du site Internet, augmentation de l’offre en ligne et lancement du programme Inspire.

Quel est votre profil de goût?

Le magazine Tchin Tchin de la SAQ faisait la promotion des pastilles de goût en 2009. Simples et pratiques, les pastilles de goût allaient transformer l’expérience du consommateur en l’aidant à faire de meilleurs choix selon ses préférences. Les pastilles de goût constituaient les premiers pas de la SAQ en matière de personnalisation de l’offre afin de mieux connaître sa clientèle et, ainsi, lui proposer des produits à son image.

À la découverte du Nouveau Monde

La France et l’Italie continuent de dominer le palmarès des ventes de vin, mais laissent de plus en plus de place à d’autres pays. Au début du millénaire, on s’enflamme pour les vins du Nouveau Monde. Les vins d’Australie, d’Argentine et des États-Unis connaissent les plus fortes croissances; on tombe sous le charme de leur caractère très fruité. Au dire d’une employée de succursale de l’époque: «Il fallait que ça goûte fort en bouche!» On se rappelle du succès des Yellow Tail, Fuzion et Ménage à Trois. Tous des vins rouges, qui représentent 77% des ventes de vin en 2004. Mais un intérêt de plus en plus marqué pour les vins blancs fait graduellement chuter la part des rouges jusqu’à 60% en 2019. La Nouvelle-Zélande n’y est pas étrangère: ses sauvignons blancs très fruités se sont vite hissés au top du palmarès des ventes de vins blancs.

Le Vieux Monde n’est pas en reste. Après le porto, ce sont les vins de table du Portugal qui sont prisés. On apprécie leur très bon rapport qualité-prix, tout comme celui des vins d’Espagne. Qui n’a pas apporté une bouteille de Castillo de Monséran dans un souper?

«Ouh, l’Espace Cellier»

En 2006, la publication du magazine Cellier et l’ouverture de l’Espace Cellier en succursale marquent un tournant. Cette année-là, la SAQ met en marché un nombre record de 1000 nouveaux produits. Un chiffre qui ne fera qu’augmenter. Vous vous rappelez la publicité «Ouh, l’Espace Cellier»? On répond à la curiosité du consommateur tout en démocratisant le vin. Les Québécois en consomment plus que les autres Canadiens1, mais de façon plus raisonnable, plus régulière et plus souvent à table. On boit de façon responsable — Éduc’alcool y veille —, et on n’hésite pas à hausser la gamme de vins dégustés. On découvre les vins de l’Afrique du Sud, de la Grèce, de l’Autriche. On s’emballe pour les scotchs single malt et on apprend à déguster la tequila, autrement qu’en bang bang.

Curieux du monde entier, on met un peu plus de temps à découvrir les produits de chez nous. Le tout premier vin québécois à la SAQ est le vin blanc du Vignoble de l’Orpailleur, en 1996, alors que la plupart d’entre nous ne croient pas encore au potentiel de notre vignoble.

En 1988, le Vignoble de l’Orpailleur, un des pionniers de la viticulture au Québec, exploitait déjà le terroir de Dunham depuis six ans. Aujourd’hui, ce domaine est un incontournable de la Route des vins Brome-Missisquoi.

Plus de place aux producteurs d’ici

Dans une volonté de valoriser ces produits, la SAQ met en place en 2001 la bannière Terroirs d’ici. C’est une première étape importante pour les produits québécois, même si les sections manquent d’uniformité, et que l’offre est un peu brouillonne: la qualité des produits, et de leurs étiquettes, n’est pas toujours au rendez-vous.

Les années qui suivent marquent leur ascension, lente mais certaine. Elle commence avec le succès du tout nouveau cidre de glace, qui fait mousser les ventes des produits du terroir à partir de 2005. En 2009, la dénomination «Vin certifié du Québec» voit le jour, précédant la mention «indication géographique protégée» en 2018. Pendant cette décennie, mais surtout au cours des dernières années, les ventes de produits du Québec vont exploser. La création du label «Origine Québec» à la SAQ en 2014 leur apporte une bien meilleure visibilité. Aujourd’hui, les vignerons ont du mal à répondre à la demande!

Boire local

Avec l’engouement pour les produits québécois vient une offre de plus en plus intéressante du côté des spiritueux, des vins et des prêts-à-boire. Les gins, particulièrement, qui mettent en vedette des ingrédients locaux, parfois inusités, connaissent un énorme succès. Le gin Ungava, avec sa couleur jaune surprenante, démarre le bal avec ses épices boréales. La porte est ouverte aux aromates du Québec: algues du Saint-Laurent, champignons ou épinettes de nos forêts. Les distillateurs québécois rivalisent d’originalité et les consommateurs en raffolent.

Ces dernières années, la tendance santé se fait aussi sentir. Tout comme on recherche une nourriture plus saine, on privilégie des cocktails moins sucrés — on a apprivoisé l’amertume! —, avec des ingrédients plus naturels. La même tendance explique en partie la montée récente des vins nature et des vins orange: les Québécois aiment bien prendre un verre, et demeurent très ouverts et curieux, mais privilégient de plus en plus des productions naturelles, éthiques et écoresponsables.

«Un petit plus à la soirée»: vous souvenez-vous de ce slogan? En 2009, la SAQ souhaite rendre l’univers des spiritueux plus accessible et propose une nouvelle section Espace cocktail en ligne et en succursale. Les amateurs peuvent s’y repérer facilement grâce à des icônes qui identifient les familles de spiritueux et découvrir une foule de recettes simples.

Le retour en force des spiritueux

Un engouement qu’on observe aussi pour les spiritueux. Après quelques années moroses, leurs ventes reprennent de plus belle dans le nouveau millénaire. Les débuts d’Espace cocktail sur le site de la SAQ, suivis de zones distinctes en succursale, témoignent de ce regain d’intérêt pour les spiritueux en général et pour l’art du cocktail en particulier. Les barmans deviennent des mixologues, et la cuisine s’invite au bar avec le même souci d’utiliser des ingrédients frais et locaux. En 2015, le Québec comptait quatre microdistilleries. Aujourd’hui, on en dénombre une cinquantaine. Elles élaborent des vodkas, des liqueurs, de l’absinthe, entre autres, et beaucoup de gin, qui connaît un succès sans précédent. En 2018 seulement, 24 nouveaux gins québécois font leur entrée à la SAQ!

Place aux locavores

Ce succès des produits d’ici colle à la popularité croissante du local, de l’artisanal, et du développement durable dans toutes les sphères de la société. Les centaines de milliers de personnes qui manifestent aux côtés de Greta Thunberg à Montréal, en septembre 2019, démontrent leur appui à la cause environnementale. Tout comme la SAQ, qui est le premier détaillant québécois à retirer les sacs de plastique à usage unique dans l’ensemble de son réseau dès 2008 et qui investit de façon continue dans des programmes de récupération, de recyclage et de valorisation du verre.

La fin du monde n’a pas eu lieu le 31 décembre 1999. Si on compare le monde d’aujourd’hui à celui d’il y a 20 ans, ce ne sont pas tant les changements qui impressionnent, mais plutôt leur rapidité. C’est sûrement ce qui explique pourquoi on prend tant de plaisir à ralentir, à se retrouver autour de la table pour discuter et refaire le monde. Alors, on se verse un petit verre, on relaxe et on porte un toast au prochain siècle!

On buvait quoi?

Coolers
Au début des années 2000, les coolers connaissent une croissance des ventes fulgurante. Les Smirnoff Ice et Bacardi Breezer remportent un succès monstre. Ces boissons panachées, selon leur désignation officielle, se taillent une place de choix dans le palmarès des produits les plus vendus à la SAQ, jusqu’à atteindre les premières places en 2007.

Spiritueux
Après les avoir quelque peu délaissés dans les dernières années, les Québécois redécouvrent les spiritueux. Comme ailleurs dans le monde, on assiste au développement de la mixologie, au retour des cocktails classiques, à un intérêt croissant pour l’univers des spiritueux haut de gamme et artisanaux.

La série Mad Men n’est sans doute pas étrangère à la récente popularité des grands classiques comme le Old-fashioned, le Manhattan et le Negroni. L’art de la mixologie continue de se développer et les mixologues dignes de ce nom travaillent derrière leur bar comme un chef en cuisine. Après le spectacle donné au bar — le flair bartending des années 1980-1990 —, on s’attarde maintenant à ce qui est dans le verre. On valorise les alcools artisanaux, les produits frais, le fait maison. Ouste les jus commerciaux, les liqueurs douces: un vrai mixologue sait les faire lui-même.

Vermouths et liqueurs amères
Cet engouement pour les cocktails nous ouvre aussi les yeux sur d’autres boissons, qui servent souvent d’ingrédients pour les cocktails, mais dont on redécouvre les vertus propres. La bouteille de vermouth de Martini & Rossi qui trônait dans le bar de nos parents a maintenant de la concurrence. Les vermouths d’Italie, de France et d’Espagne se multiplient, et depuis quelques années, ce sont ceux du Québec qui se fraient une place sur les tablettes. La plupart des vermouths québécois sont élaborés avec des ingrédients et des aromates d’ici, ce qui les rend encore plus populaires. En effet, le boire local n’a jamais été aussi fort, que ce soit pour les liqueurs, les spiritueux ou le vin.

L’enthousiasme pour les vermouths s’étend aux liqueurs amères, qui connaissent aussi une nouvelle vie. Aperol Spritz et Campari soda ne sont plus uniquement consommés lors de vacances en Italie. On les voit sur toutes les terrasses en été. Même des amers très intenses, tel le Fernet-Branca, font de nouveaux adeptes.

On mangeait quoi?

Surgelés
Les Québécois sont de bons vivants: ils aiment bien boire et bien manger. En revanche, ils ne cuisinent pas plus: jamais il ne s’est vendu autant de surgelés. Et pourtant, le thème de la cuisine est plus populaire que jamais! La cuisine était un service; elle est devenue un divertissement.

Les émissions sur le sujet ne datent pas d’hier. Jehane Benoît et Sœur Angèle nous y ont initiés. Mais au tournant du millénaire, elles se multiplient et connaissent un essor sans pareil. Des chaînes entières y sont consacrées. Daniel Pinard, Josée di Stasio, Ricardo, Daniel Vézina nous entraînent tous dans leur cuisine pour partager leur amour du »bien manger». Et les livres qui se vendent le plus? Les livres de recettes, bien sûr!

Tartares
Alors que la technologie s’installe partout dans nos vies, le début des années 2000 voit la science s’introduire en cuisine: c’est l’apparition de la cuisine moléculaire. Mousses, écumes et autres gelées élaborées avec des siphons ou de l’azote liquide donnent tout un spectacle.

On penche toutefois davantage pour le style accessible et décontracté prôné par nos vedettes du petit écran. Dans cet esprit, on revisite la cuisine bistrot (allô, les tartares!) et le comfort food: mac and cheese, porc effiloché et poutine à toutes les sauces. Les camions de bouffe de rue font leur apparition dans les parcs et les festivals. Les cupcakes, ces petits gâteaux réconfortants en forme de muffin, deviennent un must. Martin Picard se fait connaître pour sa cuisine roborative et sa décadente réhabilitation de la cabane à sucre.

Mais la tendance générale va plutôt vers le plus léger, le plus santé, le plus durable. On délaisse le traditionnel repas trois services pour de petites assiettes ou des assiettes à partager. Les légumes volent la vedette au lieu de jouer les accompagnements. Les smoothies incorporent du chou frisé, des algues, des graines de chia et autres superaliments.

Bio
Le dicton «on est ce qu’on mange» prend tout son sens. On lit de plus en plus les listes d’ingrédients afin de manger le plus naturel possible, et on essaie de privilégier les productions durables, l’agriculture bio. Les mouvements «de la ferme à la table» et »du museau à la queue» s’inscrivent dans cette pensée, et l’apparition du mot «locavore» vient donner un nom à la tendance. L’autonomie alimentaire est d’ailleurs maintenant sur toutes les lèvres.

Daniel Pinard, animateur, chroniqueur et auteur de deux livres de recettes, Pinardises et Encore des pinardises, en 2002.

L’animatrice, autrice de plusieurs livres de cuisine et passionnée par l’art de vivre Josée di Stasio, en 2005.

Le chef Daniel Vézina en 2012. Ce restaurateur, animateur et auteur fait partie du paysage gastronomique au Québec depuis maintenant 30 ans.

Ricardo Larrivée en 2002. Ce chef et animateur est rapidement devenu la référence en matière de recettes accessibles grâce à ses émissions, à son site internet et à ses magazines.

Des repas sains et colorés

Dans le même souci de manger santé, on assiste à la montée du cru. L’alimentation vivante, ou crudivorisme, fait des adeptes, qui aiment aussi les aliments crus comme on les prépare au Japon ou au Pérou (les ceviches!). On mange local, mais on s’inspire à l’échelle mondiale. Plus récemment, on a vu apparaître les bols poke comme on les fait à Hawaï et le kimchi de Corée, mélange de chou et de légumes fermentés et épicés. Ce mode de conservation ancestral est remis au goût du jour.

En même temps que la cuisine est devenue un divertissement, les chefs sont devenus des vedettes. Le succès colossal de l’émission Les chefs! en est la preuve, tout comme il témoigne de la relation étroite qu’entretiennent les Québécois avec ce qui est dans leur assiette.

Photos: Archives / Média QMi (Vignoble); Archives SAQ (Espace Cocktail); Marie des neiges Magnan (produits locaux); Archives Le Journal de Montréal (Daniel Pinard, Josée di Stasio et Daniel Vézina); Archives TVA Publications / Frédéric Auclair (Ricardo Larrivée).