En raison de son climat rigoureux, le Québec s’est longtemps limité aux cépages hybrides, créés en laboratoire pour combiner la résistance des variétés rustiques et les qualités des vitis vinifera. Marquette, frontenac, maréchal Foch, vidal et seyval, notamment, ont été sélectionnés pour leur rendement et leur capacité à survivre à la saison froide. Mais, fruit du mercure qui monte, les vinifera font de plus en plus leur place au soleil dans le sud du Québec. Pinot noir, chardonnay, riesling et merlot risquent-ils de supplanter les hybrides au fil du temps?

« On pourrait imaginer que, dans un horizon moyen, on puisse planter du vinifera qui pourrait endurer des – 10 oC, voire des – 25 oC en hiver », selon Frédéric Lasserre, coauteur de l’étude Le développement des vignobles canadiens et l’impact des changements climatiques. Ce qui est sûr, c’est que « le territoire de culture du vin va s’étendre avec le temps; on assistera à l’extension géographique des cépages hybrides en dehors du sud du Québec : en Abitibi, au Lac-Saint-Jean, dans le Bas-St-Laurent... ». On peut donc s’attendre à ce qu’il y ait plus de vin produit un peu partout dans la province, et davantage à partir du vinifera dans le sud.

Une saison plus longue… mais plus imprévisible

La hausse des températures permettra d’obtenir des vins présentant un bel équilibre entre acidité et sucrosité, mais aussi de laisser les vignerons souffler un peu : « Au Québec, notre plus gros challenge, c’est celui du temps. On doit réussir à tout faire, et à bien le faire, entre la fin mars et la fin août », affirme Geneviève Thisdel du vignoble Les Bacchantes. Un printemps plus hâtif et un automne plus tardif permettent d’étirer la période de travaux dans les vignes. On profitera aussi d’une vendange et d’une maturité intéressantes (plus longue est la maturation, plus le raisin se concentre en sucre).

Gare, par contre, aux trop faibles précipitations en hiver : « On a besoin de neige, car elle agit comme un isolant », ajoute la cheffe de culture avant de souligner que « le printemps hâtif vient aussi avec des risques de gel ». Ce fut le cas en mai 2021 : adieu, les récoltes sur les parcelles où les bourgeons avaient déjà éclos. Tous s’entendent d’ailleurs pour dire que l’imprévisibilité des phénomènes météorologiques extrêmes – accentuée par le réchauffement climatique –  constitue un défi qui est là pour de bon.

Geneviève Thisdel, cheffe de culture du vignoble Les Bacchantes
La viticultrice Véronique Lemieux

Faire partie de la solution

Mais les vignerons peuvent-ils eux-mêmes mettre l’épaule à la roue pour éviter de contribuer aux changements climatiques? Pour Thisdel, « l’avenir passe par des cépages qui seront résistants aux maladies », ce qui minimisera les traitements nécessaires et l’utilisation du tracteur qui en découle.

Véronique Lemieux, coexploitante d’une parcelle expérimentale au Vignoble La Bauge à Brigham, répond également par l’affirmative :« Le nerf de la guerre, c’est la capture du carbone. Dès que tu retournes la terre en labourant, le carbone s’échappe dans l’atmosphère. Entre les rangs, on utilise donc un couvre-sol fait de trèfle, de moutarde et de sarrasin. Quand on le coupe, il devient de l’engrais vert qui nourrit notre sol, le protège de l’érosion et contribue à ce que le carbone y demeure. » Sur certaines parcelles de La Bauge, ce sont en outre des moutons qui se chargent du désherbage!

Signe des temps ou signe que les temps changent? En 2021, 35 % des vignerons québécois disaient prévoir obtenir leur certification bio dans un horizon de cinq ans. Comme quoi, à l’heure où les changements climatiques s’accélèrent, le mouvement vers une viticulture plus saine semble suivre la cadence au Québec.