L’Apérol spritz sombrera-t-il dans l’oubli? L’espresso martini est-il revenu pour rester? Et qu’en est-il du fameux sbagliato, qui a fait tant de vagues sur le web l’automne dernier? On a demandé à deux experts de nous éclairer sur les grands courants qui risquent de marquer la prochaine année.

Dans le coin gauche : Kate Boushel, directrice des bars et de l’éducation du groupe Barroco (Atwater Cocktail Club, Milky Way, Foiegwa). Dans le coin droit : Manu Ruiz, chef de bar au Rouge Gorge. 

Selon vous, quelles sont les grandes tendances du moment dans le monde des cocktails?

Kate : Le Québec est le plus grand consommateur de rhum au Canada. Avec la tendance à l’achat local, les gens ont acheté beaucoup de gins et de vodkas de distillateurs d’ici. Maintenant, ils vont recommencer à exploiter le rhum, surtout qu’on propose maintenant plusieurs options locales. Avec ça, on va voir revenir le daiquiri et le mojito.

Avec le retour des voyages, comme les Québécois aiment beaucoup aller dans le Sud, tout le monde a été au Mexique et a découvert ou redécouvert la tequila et le mezcal. C’est un savoir ancestral, je pense que c’est la raison pour laquelle les gens accordent autant d’importance aux rhums et aux produits d’agave. Ce sont parmi les plus anciens spiritueux, avec ceux d’Asie. Je vois déjà venir une belle montée des alcools asiatiques comme les sakés, les soju, les shōchū. C’est excellent en cocktails, j’adore ça! Mais ça, c’est pour 2024. 

Je pense qu’on va aussi voir les gens recommencer à se prendre moins au sérieux; jouer un peu plus à nouveau avec tout ce qui est frozen, slushy. On a besoin d’un peu de légèreté, dans la vie!

La tendance nolo [une combinaison des notions d’abstinence no alcohol et de modération low alcohol] prend aussi de l’ampleur. Tous nos menus ont des options sans alcool ou à faible taux d’alcool. C’est essentiel, la demande est à la hausse. On s’assure de toujours bien inclure tout le monde, surtout que pour certains, ce n’est pas un choix, mais un mode de vie, ou bien c’est pour des raisons culturelles. Avoir de belles options avec peu ou pas d’alcool permet aussi aux gens de découvrir leur créativité à la maison avec ces produits. 

Manu : Personnellement, je ne fais pas tant de recherches en fonction des tendances pour mes cartes, parce que ce qui donne de l’unicité à un établissement, c’est nos idées à nous. Mais les tendances étant ce qu’elles sont, elles s’installent parfois de façon un peu insidieuse, sans qu’on s’en rende compte.

Je pense qu’il va y avoir une continuité avec les cocktails faibles en alcool ou sans alcool. C’est une tendance qui n’a pas fini de progresser. Sinon, tout ce qui est " fraîcheur, ingrédients frais ", va prendre plus de place. Je crois qu’il va y avoir beaucoup de cocktails de type highball aussi, des trucs pétillants, rafraîchissants.

Les tendances s’installent beaucoup dans les bars avant d’arriver à la maison. C’était quelque chose qu’on sentait venir, mais de plus en plus de gens demandent des cocktails avec du mezcal. Je vais souvent partir sur des trucs classiques, comme un negroni avec du mezcal. C’est délicieux.

Avec la pandémie, les gens ont vraiment développé leurs habiletés pour se faire des cocktails à la maison. Ce qui est le fun, c’est de voir qu’ils travaillent avec des produits frais, qu’ils essaient de reproduire ce qu’ils ont bu au bar, ce qui fait que leur palais aussi a changé. Quand ils viennent au bar, ils sont plus enclins à essayer des cocktails plus audacieux, avec des ingrédients atypiques. Et ils sont prêts à payer pour.

«Avec la pandémie, les gens ont vraiment développé leurs habiletés pour se faire des cocktails à la maison. Ce qui est le fun, c’est de voir qu’ils travaillent avec des produits frais, qu’ils essaient de reproduire ce qu’ils ont bu au bar, ce qui fait que leur palais aussi a changé.»

— Manu Ruiz

L’espresso martini a fait son grand retour en 2022. Est-ce qu’on risque de revoir d’autres classiques du genre en 2023?

Kate : 2022 nous a ramené les martinis qu’on aimait des années 1990, comme le cosmo et l’espresso martini. Je pense qu’ils sont là pour rester. Pendant bon nombre d’années, on mettait l’espresso martini ou des variations sur le menu et personne ne les achetait. Maintenant, si tu n’en as pas un sur ton menu, tu vas quand même t’en faire commander. 

Il y a plusieurs années, je travaillais au Pistol, sur Saint-Laurent. C’était un bar inspiré par James Bond. On avait une carte de martinis : au citron, cosmopolitains, chocolatini. Ces cocktails reviennent à la mode, parce qu’on les fait avec de meilleurs produits et des ingrédients frais. On a une meilleure compréhension aujourd’hui de ce qu’est l’équilibre dans un cocktail. On est capable de lire beaucoup plus là-dessus, parce que mine de rien, en 20-30 ans, on a amené l’industrie des cocktails pas mal plus loin.

Manu : Je suis sur le Plateau. Des mojitos, j’en fais un puis un autre! Les Français sont très amateurs de mojitos, de ce que je comprends. Mais je n’en ai jamais fait autant en hiver. Ce n’est jamais complètement parti, mais j’ai le feeling que ça revient en force. 

Pour moi, la plus grosse tendance cocktail, c’est de boire ce que tu aimes. Les gens sont plus sensibilisés à tout ce qui existe maintenant. J’en vois qui sont gênés de s’asseoir au bar et de se commander un gin tonic. C’est correct! Bois ce que tu aimes. Pour moi, ça se dirige vers ça. Boire ce que tu as envie de boire au moment opportun, parce qu’il y a un cocktail pour chaque moment. 

Le negroni sbagliato : tendance passagère ou là pour rester?

Kate : Je pense que les gens vont apprendre qu’on n’a pas besoin de dire « negroni sbagliato », mais qu’on peut simplement commander un sbagliato, parce que ça fait aussi partie de la blague. 

Si la tendance a pris autant d’ampleur sur TikTok, c’est parce que les gens adorent les spritz et que ça leur a permis de découvrir d’autres variations. Le negroni sbagliato n’est pas là pour rester, mais le côté effervescent, un peu amer, un peu « agrumé », oui.

Manu : Ça, personnellement, je pense que c’est quelque chose qui ne fera pas tant de vagues. Mais ça va un peu dans la tendance qui s’installe, tout ce qui est « spritzy », les variations de spritz, les cocktails pétillants, la fraîcheur. Ce n’est pas nécessairement le sbagliato, mais cette catégorie-là de cocktails qui va peut-être plus rester.

«Pendant bon nombre d’années, on mettait l’espresso martini ou des variations sur le menu et personne ne les achetait. Maintenant, si tu n’en as pas un sur ton menu, tu vas quand même t’en faire commander.»

— Kate Boushel

L’Apérol spritz, est-ce que c’est out?

Kate : Écoute, c’est le cocktail d’été partout, tout le temps, donc je pense qu’on va rester dans les normes. À la base, un spritz, c’est un highball, parce que c’est un alcool allongé aux bulles.

On peut l’allonger avec du prosecco, du cava, un mousseux d’ici ou un pet nat. Personnellement, j’adore un spritz à base de vermouth plutôt qu’à base d’apéritif. Je trouve ça un peu moins amer, un peu plus doux en bouche. Si on se demande quoi faire avec le vermouth qu’on a à la maison, c’est une belle option, tout aussi facile à faire.

Manu : Non! C’est bon, un spritz! C’est comme Toutes les femmes savent danser de Loud: on l’a entendue sans arrêt pendant un an et on l’aime encore, parce que la toune était bonne. Mais considérant que le spritz est une catégorie en soi, c’est là que ça devient intéressant de faire découvrir d’autres types de spritz aux clients, avec de la liqueur de sureau, avec le Campari, des amari, des vermouths. Il y a tellement de variantes possibles!

Quel sera LE cocktail de 2023?

Kate : Je ne pense pas que c’est un cocktail en particulier. Si on résume, on va jouer de plus en plus avec les produits à faible taux d’alcool, puis les daiquiris et les mojitos vont refaire surface. C’est pour ça que je propose le Queen’s Park Swizzle, le cocktail national de Trinidad, parce que c’est un beau classique plus goûteux, avec un peu plus de complexité, mais qu’un amateur de mojito et de daiquiri aimerait.

Queen’s Park Swizzle 

60 ml (2 oz) de rhum vieilli
15 ml (1/2 oz) de jus de lime frais 
15 ml (1/2 oz) de sirop simple 
2-3 tiges de menthe fraîche
Quelques traits d’Angostura
Glace concassée

Taper légèrement les feuilles de menthes sur la main ou sur une surface de travail pour en libérer les arômes.

Dans un verre highball, mettre les feuilles de menthe avec le rhum, le sirop simple, le jus de lime et deux traits d’Angostura.

Remplir le verre aux trois quarts de glace concassée.À l’aide d’une cuillère de bar, remuer pour bien mélanger les ingrédients.

Ajouter encore un peu de glace pour remplir le verre.

Décorer avec une tête de menthe et une paille (réutilisable ou compostable), puis arroser généreusement d’Angostura (environ 8 à 10 traits).

Manu : En nommer un seul, c’est difficile! Les gens ne m’ont jamais demandé autant de cocktails avec du mezcal, alors je vais dire le mezcal negroni. En plus, c’est tellement facile à faire. Tu remplaces le gin par du mezcal, et le tour est joué!

On a aussi une variante maison au Rouge Gorge qui est un mezcal negroni, mais blanc, avec du maïs grillé, du mezcal, un amer blanc et un vermouth sec. C’est délicieux!

Mezcal negroni

45 ml (1 ½ oz) de mezcal
30 ml (1 oz) de vermouth rouge
30 ml (1 oz) de Campari
Zeste d’orange

Verser tous les ingrédients dans un verre à mélanger.

À l’aide d’une cuillère, remuer 10 à 15 fois.

Verser sur un gros cube de glace* dans un verre old fashioned.

Presser délicatement le zeste d’orange au-dessus du verre pour en extraire les huiles essentielles et l’utiliser en garniture.

*Si vous n'avez pas de gros glaçons, verser tout simplement les ingrédients dans un verre old fashioned rempli de glace et mélanger à la cuillère.

Un souhait pour 2023?

Kate : Une des choses que j’ai vraiment aimées en 2022, c’est que les gens sont plus aventureux que jamais avec leurs cocktails. En 2023, j’aimerais voir les gens prendre en charge ce qu’ils veulent boire. Des fois, les clients s’assoient au bar et me demandent : « C’est quoi ton cocktail préféré? » Mes goûts ne sont pas les tiens. Posez de meilleures questions : « Quels sont tes meilleurs vendeurs? Moi, j’aime les cocktails qui ont du piquant. » Soyez plus spécifique dans vos demandes pour aider les serveurs et les barmans ou barmaids à mieux répondre à vos désirs et à vos envies, tout en gardant votre esprit d’aventure.

Manu : Buvez mieux. Buvez bien. Prenez le temps de bien boire. 

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Illustration: Gabriel Sabourin

Montréalais et bachelier en design graphique, Gabriel s’inspire de l’élégance du dessin technique et puise dans son sens de l’humour absurde pour tracer des univers attachants. Il consacre sa carrière à l’illustration et l’animation.