Peut-on produire de l’alcool en le distillant à des températures sous zéro Celsius?

Impossible, dirait-on a priori. Et pourtant, à la Distillerie Noroi, à Saint-Hyacinthe, c’est exactement ce qu’on fait, grâce à un alambic en verre assez unique en son genre, surnommé le Roi du Nord. Un investissement d’un million de dollars, assorti de deux ans de recherche pour pouvoir bien l’utiliser pour la production d’alcools fins.

Pour la jeune distillerie lancée officiellement le 25 mars 2019, cet outil permet de créer des produits fortement distinctifs, foi de Jonathan Robin, président fondateur de l’entreprise. « Ça crée une grande fraîcheur et une grande concentration aromatiques, parce que ça ne cuit pas les arômes, » explique-t-il avec enthousiasme. Des alambics traditionnels sont aussi utilisés pour les alcools de base, mais cet outil particulier vient donner une signature bien particulière et un raffinement accru aux produits de la maison.

L’alambic à froid fonctionne selon un principe qu’on peut observer dans la nature. Quand on monte en altitude et que la pression atmosphérique diminue, l’eau bout à plus basse température. En diminuant la pression au maximum – bref, en travaillant pratiquement sous vide, dans l’alambic en question – l’évaporation se fait à des températures très froides. Résultat, les composés aromatiques plus fragiles restent intacts, là où ils auraient été altérés par la chaleur.

Le fruit avant tout

La capacité d’aller chercher des arômes aussi frais est particulièrement avantageuse quand vient le temps de distiller des alcools de fruits – par rapport à des alcools de grains comme le whisky dont les arômes sont moins affectés, voire renforcés par la chaleur. C’est pourquoi Noroi se spécialise dans les boissons aux agrumes (vodka citron lime, gin aux accents d’écorce d’orange et de citron, liqueur d’orange) et aussi dans un tout nouveau gin aux petits fruits : la camerise bio de la ferme Les Délices des Rapides et les fraises produites sans pesticides par la Ferme Gadbois, toutes deux dans la région maskoutaine. L’érable bénéficie également du traitement à froid, selon Jonathan Robin, sa liqueur d’érable prenant un côté très pur et léger « avec de petites notes végétales » plutôt que caramélisées.

Pour le propriétaire de Noroi – et aussi de la microbrasserie Le Bilboquet et de Fixit Kombucha, l’envie de sortir des sentiers battus est un trait de caractère de longue date. Au sein du Groupe Robin, l’entreprise immobilière familiale où il œuvrait auparavant, Jonathan a été responsable de la création de certains des premiers hôtels certifiés LEED au Canada et aussi du complexe Synergia, à Saint-Hyacinthe. Tous les voyageurs qui circulent sur l’autoroute 20 auront remarqué cet édifice de six étages entièrement construit en bois d’ingénierie, sans la moindre poutre de métal. Un record de hauteur pour un édifice du genre au Québec, au moment où il a été inauguré en 2017.

Les sept vies de l’orange

Jonathan Robin se félicite aussi que les écorces d’orange utilisées dans ses spiritueux connaissent plusieurs vies, au cours du cycle de production dont il fait partie. L’orange arrive d’abord chez Loop, un producteur de boissons très écolo de Montréal, où elles servent à produire des jus. Alors qu’elles auraient jusque-là abouti au dépotoir ou au compost, le producteur de Saint-Hyacinthe profite d’un produit frais à macérer dans l’alcool puis à distiller. Beaucoup de distillateurs utilisent plutôt des agrumes séchés, ce qui ajoute un point de plus à l’argument fraîcheur de chez Noroi.

Mais le chemin des écorces est loin de se terminer là. Le distillateur leur fait faire d’autres tours de pistes pour produire un sirop d’orange et des bitters pour la production de cocktails. Certains lots d’oranges aux arômes distinctifs se retrouvent chez Christophe Morel, à Montréal, où ils entrent dans la production de chocolats fins. Les écorces peuvent ensuite servir à la production de bières avant d’aller améliorer l’alimentation des cochons dans une ferme porcine voisine. « Tout ça partait complètement aux poubelles, » rappelle Jonathan Robin. « On est très contents de travailler à la revalorisation de produits et à l’économie circulaire. »

Un feu roulant d'innovations

En parlant à l’énergique homme d’affaires, on sent bien son envie de toujours repousser les limites, lui qui a eu le plaisir de recevoir un prix international pour son gin… trois jours avant le lancement officiel de son entreprise. Depuis, il continue de chercher de nouvelles avenues. Il mettra bientôt en marché une boisson apéritive au yuzu, à la bergamote et à l’orange, tiré de pelures fraîches et s’aventurant sur le terrain des aperitivos italiens.

Récemment, l’entreprise a aussi lancé un émulsifiant végétal tiré d’une écorce d’arbre riche en saponine, ce qui permet de faire mousser des cocktails sans ajouter de blancs d’œufs. Un produit novateur, facile à gérer et permettant de créer des cocktails végétaliens. « On fait vraiment beaucoup de R&D, » conclut-il en se promettant d’avoir bien d’autres choses à raconter dans les mois et les années à venir.