Depuis quarante ans, le vin chilien n’a cessé de repousser ses frontières. Que ce soit en étendant ses vignobles de plus en plus loin au nord comme au sud du pays, en ouvrant constamment de nouveaux marchés d’exportation ou en élargissant son savoir-faire à un nombre croissant de cépages, le pays ne s’est surtout pas assis sur les lauriers, après que les cabernets sauvignons du pays aient commencé leur nouvelle marche planétaire. Aujourd’hui, on peut aussi trouver des pinots gris, des tempranillos, des malbecs, des pinots noirs ou des viogniers provenant du Chili.

Le cabernet en vedette

Si les exportations actuelles sont un phénomène sans précédent, les vignobles chiliens ont connu une première vague d’exportation à la fin du 19e siècle, alors que les pays européens étaient dévastés par le phylloxéra. Les vignobles plantés de cépages bordelais comme le cabernet sauvignon (voir encadré) avaient alors donné aux vignerons chiliens de bons outils pour se faire valoir une première fois sur la scène mondiale, puisqu’ils sont restés entièrement libres de cette terrible maladie. Les producteurs locaux restent très fiers de cette première époque de modernisation du vignoble de leur pays, comme en témoigne par exemple la ligne de vins 1865 de la maison Viña San Pedro, qui réfère à l’année de fondation du plus important groupe viticole chilien.

Le Chili en chiffres

En 2019, le Chili était le 7e producteur de vin au monde, pratiquement nez à nez avec l’Australie. Ses quelque 212 000 hectares de vignes s’étendent sur près de 1 300 kilomètres, du nord au sud. La production du millésime 2019 s’élevait à 1,19 milliard de litres – près de 1,6 milliard de bouteilles, dont plus des deux tiers sont destinés à l’exportation vers 150 pays, dont la Chine, les États-Unis, le Japon, le Brésil, le Liban et le Canada. Le cabernet sauvignon est de loin le cépage principal du pays avec 30% de la surface plantée, suivi du sauvignon blanc à 11%.

Après tout, cette première époque avait aussi jeté les bases des succès actuels du pays sur la scène internationale. Les cabernets chiliens, offrant un excellent rapport qualité-prix et même une fort belle capacité de garde, avaient tout pour séduire un monde du vin qui mettait le style bordelais au sommet de l’échelle, dans les années 1990. Mais au moment où les amateurs de vin d’un peu partout se mettaient aux rouges de la vallée de Maipo, cœur historique de la viticulture chilienne, les Chiliens eux-mêmes voyaient déjà plus loin, avec l’appui d’investisseurs étrangers très attirés par le potentiel du pays.

Pilier de la viticulture chilienne

En 1979, déjà, l’Espagnol Miguel Torres avait contribué à diversifier les perspectives de la viticulture chilienne en s’installant dans la vallée de Curicó, loin au sud de Santiago. Après s’être mise à l’exportation dès 1981, la célèbre famille catalane s’était mise à la recherche de nouveaux terroirs et de vieilles vignes. La famille Torres a en effet contribué fortement à la remise en valeur du carignan, avant de se tourner également vers d’autres variétés historiques du Chili comme le moscatel, le cinsault et le país. En 2012, elle a également planté des pinots noirs sur des sols de schistes dans la région de Constitución, 180 kilomètres plus au sud que Curicó.

Entre Santiago et Bordeaux

C’est autour de 1860 que la famille Cousiño, toujours propriétaire de la maison Cousiño-Macul aujourd’hui, importe des vignes de cépages bordelais – cabernet sauvignon, carménère (longtemps pris pour du merlot), sauvignon blanc et gris – ainsi que du chardonnay pour établir des vignobles ambitieux au Chili. Suivi de près par d’autres familles qui restent également actives dans la production de vin actuelle, ce mouvement était destiné à rehausser la qualité des vins locaux. À l’époque, ceux-ci étaient essentiellement faits de país, cépage arrivé en Amérique du Sud au milieu du 16e siècle avec les conquistadors espagnols. Si ce cépage au fruité léger et convivial a été beaucoup délaissé au profit du roi cabernet, il connaît aujourd’hui un certain renouveau, alors que des vignerons s’appliquent à faire revivre de vieilles vignes de país âgées de 100, voire 150 ans ou plus dans des régions comme Itata, au sud du pays.

La fraîcheur du Pacifique

Autre élément fort de l’évolution de la viticulture chilienne, les producteurs n’ont eu de cesse de rapprocher leurs vignes du Pacifique pour profiter de la fraîcheur de l'océan et de sa capacité à modérer fortement les températures et le cycle de la vigne. Viña Errázuriz, par exemple, la maison mère fondée en 1870 par Don Maximiano Errázuriz est installée à Panquehue, loin à l’intérieur de la vallée de l’Aconcagua. La chaleur de l’endroit permet de faire mûrir pleinement le cabernet sauvignon et les autres cépages rouges bordelais. La maison a aussi fait office de pionnier de la syrah chilienne, plantée pour la première fois dans ses vignobles en 1996.

À peine une soixantaine de kilomètres à l’ouest, chez Arboleda, autre domaine du groupe Errázuriz, la proximité du Pacifique offre une température moyenne inférieure de trois à quatre degrés Celsius, par rapport à Panquehue, ce qui rend les jolies collines fort propices au pinot noir et au chardonnay.

C’est dire la force du facteur maritime, dont on a commencé à prendre conscience lorsque Pablo Morandé, alors œnologue de la maison Concha y Toro, décidait en 1982 de planter des cépages blancs dans la vallée de Casablanca, jusqu’alors considérée trop froide pour la production de vin. Cette vallée est devenue depuis un haut lieu de la production de vin blanc chilien. Le chardonnay y vient en tête de liste, mais le sauvignon blanc génère de plus en plus d’accolades à mesure que les vignerons lui donnent une personnalité originale et énergique à souhait.

La proximité de la mer

Depuis, les producteurs chiliens comme Torres et Viña San Pedro ont continué à se rapprocher de la mer, dans des endroits comme Bío Bío, Malleco ou Itata, loin au sud de Santiago, où l’influence maritime peut se faire fortement sentir. La vallée de Limarí, avec des vignobles situés à tout juste 15 kilomètres des côtes, est un autre de ces points de rendez-vous du Chili avec la viticulture de climat frais.

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Un peu plus haut

En plus de chercher le frais au bord de la mer, les viticulteurs l’ont aussi trouvé en altitude, en plantant des vignobles à plus de 2 000 mètres d’altitude dans la vallée de l’Elqui, tout près du désert de l’Atacama. Même si la région, située à environ 450 kilomètres au nord de Santiago, se rapproche beaucoup de l’équateur, l’élévation crée un équilibre particulier, avec un fort ensoleillement, mais une chaleur modérée. La combinaison semble particulièrement bien convenir à la production de syrahs distinctives.

La vallée de l'Elqui est aussi reconnue pour sa production de pisco, un spiritueux de raisin ayant une longue histoire au Chili – et une montée qualitative récente, à mesure que cette industrie se modernise et se tourne elle aussi vers l’exportation. On n’est pas encore à la fin des découvertes et des transformations dans ce coin d’Amérique du Sud...