Chaque fois (ou presque) qu’un embouteillage se prépare, Michel Jodoin goûte au nectar pour s’assurer que tout va bien. «Il faut quand même que j’y mette ma touche personnelle», blague-t-il. Ça se comprend: son nom figure en grosses lettres sur chacun des produits de sa cidrerie, elle-même baptisée en son honneur.

Cidres tranquilles, de glace, mousseux, pétillants, mais aussi mistelle, vermouth, brandy, moût de pommes… tous sont issus de ses vergers qui occupent 40 hectares (soit l’équivalent de 74 terrains de football) dans la petite municipalité de Rougemont. «La totalité des récoltes est utilisée pour la fabrication. Je veux contrôler ma matière première d’un bout à l’autre», dit l’homme qui connaît la pomme par cœur pour avoir passé sa vie entière sur la terre de son arrière-grand-père, duquel il a hérité son imparable flair.

De pommes en fils

Fallait-il en avoir, du flair, pour racheter un lopin à peine planté de quelques arbres, en 1901! Son aïeul Jean-Baptiste n’en manquait pas. Ce jeune blanc-bec de 20 ans a mis la main sur un lot de 100 pommiers à fort prix. Qu’importe. Il connaissait sa valeur. Avec son fils Ernest, il a défriché le domaine. En 1937, ce dernier prenait la relève et plantait des pommiers à profusion. «Mon grand-père aussi avait du flair et savait planter au bon endroit, à flanc de montagne, à l’abri des vents dominants et exposé au soleil levant», raconte son petit-fils. Ce sera ensuite à Jean – père de Michel – et à ses frères de faire fructifier la terre. «C’était des gars de pommes. Chacun a fait du cidre à sa manière, qu’il vendait sous le manteau», se souvient-il.

Michel travaille déjà aux champs lorsque l’idée de produire du bon cidre germe dans son esprit. Nous sommes au lendemain de la grande débâcle du cidre, provoquée par l’arrivée des cidreries industrielles, au tournant des années 1970. «Le cidre avait été oublié dans la loi. Pratiquement toutes les vieilles maisons du rang en fabriquaient. On descendait à la cave remplir son cruchon. Cette expérience de dégustation, un peu illégale, plaisait bien», évoque-t-il. Or avec la nouvelle loi concernant la fabrication et la vente du cidre, sanctionnée en 1970, la production est sortie de l’ombre, s’est emballée et a perdu en qualité. «Le cidre fermentait pratiquement dans la vitrine du dépanneur. Tous ceux qui en produisaient illégalement ont cessé leurs activités», relate-t-il. Ce contact direct avec le producteur commence à manquer. «Les gens se présentaient au verger en nous demandant si on n’avait pas du cidre comme on le faisait dans le temps. J’ai senti qu’il y avait là un intérêt.»

En mode cocktail

«Tranquille mais pas sage», le Cidre Rosé, non effervescent à 12%, s’inspire de la recette traditionnelle du père Jodoin, et se compose de pommes Geneva à chair rouge. D’où sa couleur rosée, ses effluves de fruits rouges et sa finale florale. Bon en apéro ou avec une pizza fromage de chèvre et crevettes. Quant au Houblon Pétillant, il est ultrarafraîchissant, très sec, acidulé et sans sucre résiduel. Ce cocktail ne présente aucune amertume, mais dégage des effluves de fleurs, d’agrumes et de pomme fraîche. Se marie tant aux croustilles et au burger qu’au ceviche de pétoncles.

L’Automne urbain, cocktail proposé par Michel Jodoin

Ingrédients
60 ml (2 oz) de Brandy de pomme
30 ml (1 oz) de Vermouth de pomme
15 ml (1/2 oz) de Cidre de glace doré
Menthe fraîche et glace

Un bon filon

Saisissant la balle au bond, Michel s’envole pour l’Europe pour parfaire ses connaissances et apprendre la méthode traditionnelle en Champagne. De retour au bercail, en 1988, il obtient son permis de fabrication et de vente de cidre artisanal. Il lance la production dans son garage avec comme objectif de vendre 100 bouteilles par mois. Son père est sceptique: il n’y a pas grand monde qui passe alors dans le rang, devant le verger! Six mois plus tard, il est encore loin du compte.

Décidé à écouler sa production, le cidriculteur en herbe se présente au Journal de Montréal avec son ami œnologue Robert Demoy. «On s’est pointés avec une caisse. Une journaliste a accepté de nous rencontrer et nous a consacré une page entière. On était bons vendeurs!» dit-il en riant.

On vous chante la pomme…

C’était il y a 30 ans. Aujourd’hui, la Cidrerie Michel Jodoin produit à plein régime et exporte sur les marchés canadien et européen. Dans l’ancien entrepôt de boîtes à pommes devenu boutique, les jeux de mots courent sur les murs et s’impriment sur les bouteilles: «Chaque pomme est une fleur qui a connu l’amour»; «Boire la vie en rose»; «Les bulles poussent dans les arbres»… Ces dernières années, Michel Jodoin s’est concentré à parfaire son image de marque. «J’investis beaucoup dans le design, la conception et le marketing, dit-il. On suit la tendance et on ajuste nos produits. Avec les réseaux sociaux, ça change vite!» Aussi a-t-il à cœur de se renouveler, comme en témoignent les nouvelles bouteilles d’aluminium colorées pour ses prêts-à-boire et son vermouth de pomme. «Je suis en mode innovation. Les jeunes n’ont aucun préjugé sur le cidre au Québec. On en trouve en épicerie, dans les bars, les restaurants, partout. Le cidre est voué à un bel avenir.» Voilà de quoi les réjouir, lui et ses ancêtres!

Autour du BBQ

L’Agrume pétillant se donne des airs de sangria avec son rose soutenu, ses effluves de pomme, et ses notes de pamplemousse et d’orange sanguine. À boire tel quel ou sur glace, avec des croustilles et des nachos. Le p’tit dernier, Vermouth de pomme, fait la fierté de Michel Jodoin, qui l’a concocté à son goût avec des pommes Geneva. À base de cidre rosé, d’eau-de-vie de pomme et de 20 extraits de plantes et d’épices, ce vermouth rosé et floral se boit comme un charme, sur glace ou en cocktail.

Photo : Marie des Neiges Magnan (cocktail) et Cidrerie Michel Jodoin