Tony Tanos Zarife s’en souvient comme si c’était hier. Il devait avoir 10 ans. Les mères de ses amis, immigrantes pour la plupart, s’éreintaient dans des manufactures pour gagner un peu d’argent. Mais pas Emilia, pas sa mère. «Je me souviens qu’elle partait travailler tous les matins, heureuse. Elle était bien habillée, elle était belle, elle sentait bon. C’est ça que je voyais, avec mes yeux de gamin. Le soir, elle rentrait à la maison, et elle avait eu une belle journée. Le lendemain, elle avait hâte d’y retourner.»

Sans savoir qu’une fois grand il franchirait la porte de la même société d’État, et trop jeune pour pouvoir nommer la passion au travail, le petit Tony savait toutefois qu’il voulait ce bonheur-là dans sa vie.

Sa mère, Emilia Zarife, était commis à la SAQ. Elle y a passé 34 années. Cette immigrante venue du Liban y a non seulement fait sa marque, mais ses trois enfants y ont été aussi embauchés — dont deux y ont fait carrière. Y œuvrent également un de ses neveux, la mère de deux de ses petits-enfants et le conjoint d’une de ses filles.

Emilia Zarife

«J’ai vécu l’arrivée de l’informatisation, raconte cette femme colorée, obstinée et déterminée. Rapidement, j’ai pris la responsabilité du paiement des factures des transports maritimes et routiers. Ça me choquait lorsque je détectais une possible erreur dans la facturation. Aucun effort n’était négligé dans mes recherches afin d’assurer l’exactitude du paiement des services rendus. Je suis fière de dire qu’en 30 ans, j’ai fait économiser de grosses sommes à la SAQ. C’était à la fois motivant et gratifiant.»

Ses enfants rigolent lorsqu’ils pensent aux transporteurs au bout du fil, devant justifier auprès de leur tenace maman le détail de certains frais. Tout le monde s’entend pour dire qu’Emilia aurait fait fortune si elle avait géré une PME. Par ailleurs, ils n’ont rien oublié des étés où ils ont travaillé auprès d’elle alors qu’ils étaient étudiants. Une de ses filles, Annie, y est restée huit ans avant de voir sa carrière de notaire la mener vers d’autres horizons. Les deux aînés, eux, y ont gravi les échelons.

Ce printemps, ils comptent respectivement 32 et 31 ans de service. Mais leurs souvenirs d’Emilia, veillant à ce qu’ils donnent le meilleur à la société d’État, sont intacts. «Un été, au milieu des années 1990, nous nous sommes retrouvés tous les trois à travailler dans le même service, raconte Tony. Ma sœur Lucie faisait un travail impeccable — et cela n’a pas changé —, mais moi, disons que la perfection n’était pas dans ma nature et ma mère m’avait à l’œil. Elle pouvait arriver derrière moi et me surprendre à écrire un message personnel. Elle m’engueulait! “Tony! Je te défends de faire ça sur tes heures de travail! Et demain, rase-toi avant de te présenter au bureau!” Tout le monde sait, à la SAQ, que ma mère a géré les transports comme s’il s’était agi de son propre argent. Et elle a géré ses enfants de manière plus sévère encore que si elle eût été leur patronne.» Ce à quoi Emilia réplique: «Ce n’était pas qu’affaire d’argent; c’était affaire de fierté.»

Tony Zarife

Avec son irrésistible personnalité et son grand sens de l’humour, Tony est demeuré, bien que très professionnel, un vecteur de plaisir pour ses collègues et ses patrons. «Quand j’étais enfant, la SAQ organisait beaucoup d’activités pour les familles. Je faisais mine de ne pas vouloir y aller, mais j’adorais ça. Et je participe encore aujourd’hui. C’est bon pour les liens entre les collègues.»

Joueur de hockey élite, gars d’équipe, passionné par les voitures et tenté par le commerce de son père, un garage, Tony a tergiversé avant de poursuivre sa carrière d’analyste au Centre de distribution. «J’avais la personnalité pour faire du commerce et réussir. Mais ma mère m’a fait comprendre une chose: cette passion, il m’était possible de l’offrir à la SAQ et de faire mon travail comme s’il s’agissait de ma propre entreprise. Et pour moi, c’est la seule vraie manière de travailler.»

Dites à un seul membre du clan Zarife qu’il est fonctionnaire et qu’il bosse pour un monopole, dites-lui que le talent et l’effort des individus ne changent rien à la donne et que la passion des employés s’évanouit dans le spectre d’une société d’État, et le voilà insulté rare! «C’est faux, lance le bouillant Tony à ses détracteurs. Mes projets me passionnent et, en trois décennies, mes patrons m’ont toujours donné pleine latitude et confiance pour m’épanouir et faire avancer les choses.»

Lucie Zarife

Sa sœur Lucie abonde dans le même sens. Diplômée des collèges Jean-Eudes et Brébeuf puis de HEC Montréal, cette directrice, experte en logistique, a gravi les échelons un par un. Elle a commencé à titre de commis, à 16 ans, puis est devenue technicienne, ensuite analyste, chef de service, directrice et pilote d’affaires à la chaîne d’approvisionnement. La gestionnaire de 48 ans a aujourd’hui sous sa gouverne des équipes en qui elle a pleinement confiance, et elle sait que leur talent profite à tous les Québécois. «J’ai passé ma carrière à faire en sorte que les processus soient simplifiés, et les choix, multipliés et diversifiés. Quoi que nous fassions à la SAQ, il y a un seul élément qui trône au-dessus de toutes les considérations, et qui est au centre de nos actions et de nos décisions: c’est le client. La SAQ travaille sans relâche à pousser plus loin l’expérience client. Il faut que les Québécois le sachent!»

Dans ses projets, il y a SAQ Inspire, qui identifie le profil de chaque membre afin de lui proposer des découvertes et lui offrir des rabais sur des produits choisis en fonction de ses goûts et de son historique d’achat. «Ça, c’est ce qui est concret pour le public. Mais en arrière-plan, nous travaillons d’arrache-pied pour améliorer nos systèmes technologiques.» Qu’il s’agisse du service-conseil, de la diversité et de la qualité des produits, du site Web, Lucie est bien placée pour connaître le niveau de détail et de dévouement qui est exigé de chacun. «Tout est axé pour que les individus partent à la découverte du vin et des spiritueux. Même en succursale, nous tenons à ce que l’expérience aille au-delà du magasinage. Nous mettons tout en œuvre pour que les gens vivent un moment agréable. Le système des pastilles est un outil qui s’avère efficace pour repérer ses produits préférés. Nous avons aussi donné au client le pouvoir de discuter avec des experts et de se faire comprendre. Nous avons créé un vocabulaire commun. C’est formidable.»

Tout cela ne se fait pas par magie. «Du temps de ma mère, et avant elle, c’étaient des employés qui se donnaient corps et âme afin que la SAQ améliore ses services et sa gestion. Cinquante ans plus tard, cela n’a pas changé. Je vois mes équipes prendre à cœur leur boulot. C’est vraiment beau à voir. J’œuvre aussi pour une entreprise qui considère comme très important le soutien à sa communauté. Elle contribue aux Banques alimentaires, à la Tablée des chefs, et appuie plusieurs fondations, dont celle de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui organise chaque année l’événement Montréal Passion Vin. C’est très stimulant.»

Quand Lucie parle de passion, ce ne sont pas que des mots. Si bien que lorsqu’elle a reçu un diagnostic de cancer, la gestionnaire n’a jamais eu l’idée de prendre un congé de maladie. Elle considère d’ailleurs que c’est justement son travail et la présence de ses collègues qui lui ont permis de maintenir son moral à flot.

La rémission de juin dernier lui a donné raison. «Pour mon anniversaire, le 24 juin, alors que les réunions de 10 personnes étaient permises, mon conjoint a loué un chalet et toute ma famille a cuisiné des mets extraordinaires, avec des accords fabuleux. C’est mon plus bel anniversaire à vie. C’est aussi ça, la SAQ: le plaisir de partager, de découvrir, d’être ensemble et de créer des souvenirs impérissables.»

Puis, avec la deuxième vague de la COVID-19, le cancer est aussi revenu, plus virulent. Méthodique et combative, la gestionnaire, qui en a vu d’autres, continue de faire face. «Nous sommes sur un gros projet qui va encore améliorer le service à la clientèle en succursale, réplique-t-elle. Il se trouve beaucoup de gens autour de moi pour me dire de m’arrêter et de me reposer. Mais moi, je crois que la passion s’avère un bien meilleur remède que la solitude et le repos combinés. Et puis, la SAQ, c’est ma famille. Est-ce qu’on quitte sa famille pour aller mener seule un tel combat ?» La question résonne et trouve écho dans un silence. Elle poursuit. «Je veux rester aux commandes avec mes copilotes; ça me donne un sentiment de faire une différence. En carrière, c’est ce que la SAQ m’a permis au fil du temps: faire une différence dans la vie des gens.»

Photos: Julien Faugère.