C’est l’histoire d’une gang de trippeux – mais des trippeux ambitieux, prêts à fouiller partout sur la planète pour produire des whiskys et autres spiritueux fins capables de se mesurer aux meilleurs de la planète. «Les produits dont on rêve, des produits d’élite qui peuvent rester accessibles aux amateurs sérieux,» résume François Marquis, l'un des huit associés de la distillerie Côte des Saints, située dans le rang du même nom à Mirabel.

Amis de longue date, souvent d’enfance, le groupe s’est rassemblé autour d’un amour profond des spiritueux fins, en amenant leurs expertises très diverses à l’entreprise, de la construction à l’emballage en passant par les processus industriels et la biologie moléculaire – spécialité d’Ann Brasey, l’épouse de François Marquis. L’esprit collectif de la boîte se fait sentir jusque sur la page du site Web qui présente l’équipe de direction. Pas de président, de hiérarchie ou de titres, juste une photo de groupe des huit trippeux fondateurs. «On veut que tout le monde puisse défendre le produit, alors on décide tout à l’unanimité» insiste François Marquis.

Intensiviste de profession œuvrant à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, le docteur Marquis en a plein les bras, ces jours-ci, avec la pandémie qui a tant affecté le Québec. Un travail sérieux, qui lui demande, comme à tous ses collègues du réseau de la santé, de mettre les bouchées doubles et d’oublier vacances et rythme normal pour un bon moment.

« le whisky sortira quand il sera prêt »

François Marquis

Rien ne semble pour autant freiner son optimisme, qui se trouve doublé d’un grand enthousiasme pour le travail effectué à la Côte des Saints, avec une volonté qualitative et une vision à long terme fortes et réfléchies. Après tout, les premiers whiskys de la maison en ont pour au moins deux ans de plus à se bonifier en barriques avant de faire leur apparition sur le marché. Peut-être même plus, car on n’est pas pressé: «le whisky sortira quand il sera prêt», point final, assure le trippeux en charge de la recherche et du développement.

Cocher toutes les cases

Dans la création des spiritueux, pas question de laisser au hasard ou de naviguer à vue, pour les huit associés de la maison. Les champs voisins de la distillerie produisent le grain qui sera ensuite distillé sur place. Si le maltage est pour l’instant fait chez Innomalt, une entreprise spécialisée de Sherbrooke, le fumage se fait ensuite dans leur propre fumoir à l’écossaise, une rareté dans le nord-est du continent américain. La maison se targue aussi que son processus de production est pratiquement carboneutre, grâce à des outils bien pensés comme un système de géothermie et de réutilisation de l’eau qui permet de refroidir les cuves avec une eau qui retourne directement à la nappe phréatique après usage.

Pour avoir une solide expertise en matière de whiskys, l’entreprise a été recruter son maître distillateur à l’international. Et à l’unanimité, comme il se doit, l’équipe a arrêté son choix sur Matt Strickland, un natif du Tennessee devenu distillateur et même formateur en distillation après avoir terminé des études supérieures sur la chimie moléculaire du vin en Oregon.

Pour faire vieillir les whiskys, élément essentiel de la création de ce spiritueux, on cherche aussi des barriques de qualité en se battant avec d’autres acheteurs internationaux pour les meilleurs tonneaux disponibles. «L’année dernière, on a même réussi à mettre la main sur deux des trois seules barriques de chêne japonais à avoir été mises en vente à l’extérieur du Japon,» se félicite François Marquis. Sachant les petites merveilles que font les distilleries de whisky japonais, l’acquisition a de quoi titiller fortement l’imagination. Des barriques de porto, de sherry et de bourbon sont aussi à l’ouvrage, un peu comme si l’aventure commerciale était doublée d’un véritable projet de recherche en utilisation du chêne – entre autres sujets d’exploration.

Esprit de groupe

Même si le whisky est le cœur de l’aventure, la distillerie mirabelloise, comme beaucoup d’autres distilleries québécoises, a commencé par mettre en marché son gin Premium, arrivé en 2019 sur les rayons de la SAQ. Mais là non plus, rien n’a été laissé au hasard pour créer quelque chose à la hauteur des ambitions de la maison. Les premières discussions ont réuni les associés autour des collections de gin personnelles, pour établir le style à développer en consensus.

L’alcool utilisé est celui de la maison, un alcool de grain pas tout à fait neutre qui vient ajouter du caractère à la douzaine de botaniques retenues pour la recette. Et si la racine d’angélique y fait une apparition et que la finesse de l’iris vient rehausser les autres saveurs, c’est le genévrier qui est à l’avant-plan, en bouche, puisque l’équipe voulait garder l’esprit traditionnel du gin dans son premier produit. Là aussi, on a cherché partout pour des ingrédients de qualité en goûtant notamment des dizaines de lots de baies de genièvre de partout dans le monde. «Je n’aurais pas cru ça en commençant, mais ça change vraiment le goût du tout au tout,» s’épate François Marquis. «On en a choisi un qui vient d’un petit producteur dans un coin perdu de l’Europe et je ne vous dirai pas lequel. Il est tellement bon qu’on aurait peur de se le faire voler.»

Le gin Premium se distingue aussi par sa robe qui devient un peu trouble et blanchâtre quand on y met un glaçon. Un signe de qualité, insiste François Marquis: «On a saturé le gin de saveurs au maximum et ça fait que quand on le refroidit, avec de la glace ou au frigo, les huiles et composés aromatiques précipitent et deviennent visibles. Comme une tempête de neige qui arrive au Québec avec le froid,» s’amuse le passionné médecin. Bref, on aurait voulu qu’on n’aurait pas pu en mettre plus!

Surprises à venir

La Côte des Saints promet aussi d’épater les amateurs avec un nouveau produit inattendu qui arrivera sur le marché d’ici quelques mois: une crème de cacao. Pas nécessairement le produit qu’on attendrait d’une maison visant le haut de gamme, reconnaît d’emblée François Marquis. Mais encore une fois, on n’a pas fait les choses à moitié, en sélectionnant après bien des essais un cacao de variété ancestrale produit dans la jungle péruvienne par un fermier passionné. Les fèves sont ensuite macérées deux fois plutôt qu’une – avant et après la distillation – pour maximiser les arômes le plus possible. «Ça ne goûte pas le chocolat de Pâques fondu,» insiste Marquis, qui promet bien d’autres expériences pour l’avenir – quand les produits seront prêts et que toute l’équipe les aura approuvés, comme il se doit.