Commençons par le commencement: c’est quoi, la piquette? Essentiellement, c’est une boisson que l’on obtient en repassant de l’eau ou du jus de fruits sur le marc des raisins, c'est-à-dire ce qui reste après qu’on les ait pressés pour en extraire le vin. On laisse ensuite macérer les peaux en ajoutant parfois certains aromates comme des fruits ou des herbes et on laisse fermenter. Le résultat? Un liquide clair, parfois pétillant, et d’une teneur en alcool variant de 2% à 7%. L’origine de son nom est nébuleuse, mais on l’appelle probablement ainsi en raison de son acidité, qui « pique » la langue.

Il faut remonter à l’Antiquité pour retracer la naissance de la piquette. Déjà, dans la Grèce et la Rome antiques, on arrosait le marc de raisin ou on allongeait le vin avec de l’eau pour créer une boisson revigorante, à faible teneur en alcool, qu’on donnait à boire à ceux et celles qui travaillaient la vigne. En France, jusqu’au début du 20e siècle, les paysan.e.s buvaient de la piquette les jours de semaine, le « vrai » vin étant réservé au dimanche. Puis, en 1907, la vente de ce produit est interdite dans l’Hexagone, pour éviter une concurrence jugée déloyale avec les vins.

La renaissance de la piquette

Comment expliquer ce grand retour? Nos voisins du Sud ont été les premiers à la remettre au goût du jour. Puis, au Canada, le vignoble Benjamin Bridge, en Nouvelle-Écosse, a été l’un des précurseurs du mouvement en commercialisant une piquette en canette. D’autres vigneron.e.s en Ontario et sur la côte Ouest lui ont vite emboîté le pas.

Le Québec a quelque peu traîné de la patte pour une raison bien simple : jusqu’à tout récemment, un règlement de la RACJ interdisait aux vigneron.e.s de fabriquer de la piquette. C’est entre autres grâce au travail de Stéphane Lamarre, du vignoble Le Château de cartes, que la réglementation a été modifiée en octobre 2021.

« Quand j’ai approché la Régie, on m’a regardé comme un extra-terrestre », se souvient le vigneron en riant. « Ça a été toute une aventure d’essayer de faire passer ce règlement, mais je suis vraiment content d’avoir tenu mon bout, parce que c’est vraiment un beau débouché », ajoute-t-il.

Et le succès a été immédiat. Pourtant, Stéphane Lamarre craignait que la connotation péjorative du terme ne rebute la clientèle. « Mais ça a été l’inverse, parce qu’on a vraiment mis la piquette sur un piédestal. Il y a une gang de 35 ans et moins qui ont vraiment un engouement pour la piquette », s’étonne-t-il.

À la micro-cidrerie et distillerie Entre Pierre et Terre, Loïc Chanut ne partageait pas les mêmes appréhensions. « Ça fait réagir, mais jamais négativement. Nous, on a aussi des '' Péteux '' [une gamme de cidres et poirés pétillants], ça fait rire le monde », lance-t-il.

Une soif de nouveauté

« Quand on a lancé Entre Pierre et Terre il y a 12 ans, on voulait faire des produits faciles à boire, simples. J’étais maître de chai pour une grosse cidrerie qui faisait du cidre de glace, des produits très sucrés. J’ai voulu aller plus vers des produits très fins et délicats et de la bulle », raconte Loïc.  

Constatant l’intérêt grandissant pour la piquette, il se lance dans l’aventure, mais troque l’eau pour du jus de pommes à cidre et de pommes ancestrales, qui apportent plus de goût et de structure. « Notre Piquette blanc, en fait, c’est plutôt un cidre aromatisé avec du vidal [un cépage hybride] du vignoble Marathonien, qui est à peu près à 10 km de chez nous et qui fait un excellent vin de glace ».

Visiblement, cet intérêt pour les produits plus légers, moins sucrés et à faible teneur en alcool se reflète chez les consommateur.trice.s, comme en témoigne la popularité des seltzers. « On voyait tellement de canettes de seltzer dans les partys, on a vu l’opportunité d’offrir un prêt-à-boire fait avec des ingrédients frais et locaux et sans sucre », explique Guillaume Laliberté du collectif Lieux Communs, qui lancera prochainement sa piquette en SAQ.

En 2021, Lieux Communs a installé son chai à la Centrale Agricole, une coopérative d’agriculture urbaine située à quelques pas du Marché Central, à Montréal. C’est là que sa Piquette pâle est produite à partir de marcs de frontenac blanc, de frontenac gris et de Louise Swenson, qui est aromatisée au cidre et à la fleur de basilic de la micro-ferme Les Cultures nécessaires, à Oka.

« C’est une belle manière de prolonger la vie des matières premières, qui s’inscrit aussi dans les valeurs d’économie circulaire de la coopérative », souligne Guillaume.

Le collectif Lieux Communs

Découvrez la piquette