Si les Écossais.e.s ont leur scotch, les Français.e.s leur cognac et les Mexicain.e.s leur mezcal, le Québec a maintenant lui aussi son spiritueux identitaire : l’Acerum, «l’esprit du Québec»!

Ace-quoi? A-C-E-R-U-M, comme dans la contraction du mot latin « acer » (pour érable, comme dans acériculture) et de « rum » (rhum en anglais), qu’on obtient par des méthodes de fermentation et de distillation semblables, mais avec du sucre de canne au lieu de l’eau d’érable. Pour simplifier, l'Acerum peut être décrit comme un « rhum d’érable », quoique son goût se rapproche davantage de celui du whisky ou d’une eau-de-vie de fruit, selon qu’il ait été vieilli en barriques ou non. 

« On est sur un nouveau territoire, en termes gustatifs », précise Joël Pelletier, cofondateur de la Distillerie St. Laurent et membre fondateur de l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable (UDSÉ, on y reviendra). « On retrouve le côté un peu butterscotch, beurré du rhum, avec des esters de fruits [composés à l’origine de l’arôme naturel des fruits] comme la pomme et la poire. Il y un aussi côté tannique, écorce de bois, qui vient de la sève », poursuit-il. 

Corinne Cluis, fondatrice de la distillerie Fove, abonde dans le même sens : « Il ne faut pas le voir comme un produit d’érable. C’est la matière première, mais ça ne goûte pas l’érable. Ça crée un peu une dissonance cognitive », explique-t-elle. 

« On est vraiment comme des explorateurs. Tout reste à découvrir. Et ça, c’est vraiment excitant! »

— Joël Pelletier, cofondateur de la Distillerie St. Laurent et membre fondateur de l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable

Photo: Sophie Corriveau

L’ABC de l’Acerum 

La définition officielle de l’Acerum, telle que proposée par l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable, est « une eau-de-vie d'érable obtenue exclusivement par la distillation de l’alcool issu de la fermentation de la sève d’érable concentrée québécoise ». 

Comment fabrique-t-on l’Acerum? Le cahier des charges de l’UDSÉ distingue quatre étapes principales :

  1. La fermentation : L’eau d’érable ou le sirop d’érable, qui doit absolument provenir du Québec, est transformé en alcool grâce à l’ajout de levures.
  2. La distillation : Le vin d’érable ainsi obtenu est ensuite distillé lentement dans un alambic pour en extraire une délicate eau-de-vie.
  3. Le vieillissement : L’Acerum peut être vieilli dans des fûts de chêne neufs ou usagés (la Distillerie St. Laurent utilise des barriques de sirop d’érable vieilli!), qui lui conféreront plus de texture et de complexité.
  4. La finition : On dilue avec de l’eau pour atteindre le taux d’alcool souhaité, entre 35 % et 45 %. Aucun intrant – ni alcool, ni colorant, édulcorant ou aromate – ne peut être ajouté après la distillation pour modifier le goût ou la couleur du produit. 

L’organisme distingue trois types d’Acerum :

  • L’Acerum blanc, qui est embouteillé sans avoir subi de macération ou avoir été vieilli;
  • L’Acerum ambré, qui a subi une macération et/ou a été vieilli moins d’un an en fûts de bois;
  • L’Acerum XX ans, qui a été vieilli pendant plus d’un an. L’âge correspond alors à celui du plus jeune baril utilisé dans l’assemblage.

Source : Cahier des charges de l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable

Petite histoire de l’alcool d’eau d’érable

Bien qu’on retrouve des traces de la présence d’alambics illégaux dans des cabanes à sucre au 19e et au début du 20e siècle, époque marquée par le mouvement de tempérance et la prohibition, l’histoire « officielle » de la transformation d’eau d’érable en alcool est toute récente. Le Domaine Acer, dans le Témiscouata, en fut l’un des pionniers. Quand Vallier Robert a repris les rênes de l’érablière familiale en 1990, il a vite vu le potentiel de l’érable pour la fermentation alcoolique. En 1996, l’acériculteur obtient le tout premier permis de production artisanale de boissons alcoolisées à base d’érable et se lance dans l’élaboration de vins secs, de vins mousseux et de vins doux de sève d’érable, aussi appelés acers. 

Il faudra attendre encore deux décennies pour voir apparaître le premier Acerum : c’est la Distillerie Shefford qui commercialisa la première eau-de-vie d’érable sous ce nom en 2017. Au même moment, à la Distillerie St. Laurent, à Rimouski, Joël et ses associés expérimentent également avec la fermentation de sève d’érable. Les grands esprits se rencontrent : ils avaient eux aussi pensé au même nom!

Les deux distilleries décident alors d’unir leurs forces et mettent sur pied, avec l’aide de Vallier du Domaine Acer, l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable, un organisme sans but lucratif dont la mission est de promouvoir l’Acerum au Canada et à l’international, mais aussi d’encadrer sa production. L’objectif à court terme de l’Union est de définir et de mettre en place l’appellation Acerum afin d’en protéger l’usage. Il s’agirait de la toute première IGP pour un spiritueux au Québec.

« Ce qu’on veut, c’est que le consommateur, quand il voit une bouteille d’Acerum, soit assuré que 100% de ce produit-là est issu de sirop d’érable ou d’érable du Québec, sans autre intrant ou édulcorant », explique Joël Pelletier. 


L’association compte pour l’instant une douzaine de membres producteur.trice.s, mais plusieurs devraient bientôt garnir ses rangs, croit Corinne. Biologiste de formation, elle a elle-même décidé de se lancer dans la production d’Acerum après avoir goûté celui de la Distillerie St. Laurent. « Il y a une opportunité de faire quelque chose qui est unique à notre territoire et de laisser une marque », croit-elle. 

Photo: Étienne Bay

« Il y a une opportunité de faire quelque chose qui est unique à notre territoire et de laisser une marque. »

— Corinne Cluis, fondatrice de la distillerie Fove

Un intérêt grandissant

Si l’Acerum est encore méconnu du public québécois, l’engouement commence tranquillement à prendre racine. « On est les pionniers. On ne peut pas mettre la charrue devant les bœufs et créer une tradition du jour au lendemain », reconnaît Corinne Cluis. « Tout est aligné, mais il faut répandre la bonne nouvelle pour que les gens puissent y goûter. Je rêve d’une section Acerum à la SAQ! », lance-t-elle.

Pour sa part, Joël Pelletier constate déjà un vif intérêt à l’international: « L’Acerum est le produit qui excite le plus les gens à l’étranger », rapporte-t-il. La Distillerie St. Laurent exporte déjà dans une douzaine de pays, dont la France, le Japon, la Suisse et la Belgique. Selon lui, c’est l’unicité du produit qui crée cette demande. 

« Ça peut prendre des générations avant que les gens adoptent petit à petit des nouveaux produits. On peut voir ça comme un legs pour les prochaines générations », poursuit Joël. « Je trouve ça cool de dire qu’une petite gang de producteurs québécois se sont regroupés pour jeter les bases de quelque chose qui va être une part de la culture du Québec. On est vraiment comme des explorateurs. Tout reste à découvrir. Et ça, c’est vraiment excitant! », conclut-il.

Conseils de dégustation

Pour en apprécier pleinement tous les arômes, on déguste l’Acerum à température ambiante ou légèrement rafraîchi. Comme il n’est pas sucré, il accompagne aussi très bien les desserts.

L’Acerum se travaille également bien en cocktail, notamment avec la pomme ou en sour. « Les agrumes font vraiment ressortir les arômes de l’érable », affirme Corinne. 

L’Acerum ambré, légèrement boisé, avec des notes de caramel, peut également remplacer le rhum ou le whisky dans des cocktails classiques, comme le old fashioned.

Découvrez l’Acerum

Illustration: Gabriel Sabourin

Montréalais et bachelier en design graphique, Gabriel s’inspire de l’élégance du dessin technique et puise dans son sens de l’humour absurde pour tracer des univers attachants. Il consacre sa carrière à l’illustration et l’animation.