Un mouvement bien enraciné

Aujourd’hui, de plus en plus de vigneron.ne.s se lancent dans l’aventure bio, malgré les défis que ça représente. Les demandes de certification auprès d’Ecocert, la référence en matière d’agriculture biologique, ont d’ailleurs explosé ces dernières années. Et ça ne concerne pas que de petits vignobles : plusieurs grosses pointures osent désormais faire le pas. C’est dire combien le mouvement prend de l’ampleur. Question d’y voir plus clair, nous avons parlé à trois figures de proue de l’industrie viticole québécoise, unies par la même passion et par leur profond respect de la terre.

Domaine Saint-Jacques : la famille d’abord

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Crédit photo: Domaine Saint-Jacques

En 2005, quand Yvan Quirion achète une parcelle de cinq hectares de vignes à Saint-Jacques-le-Mineur, en Montérégie, il est loin de se douter que ce qui se veut un simple projet de retraite deviendra vite un grand projet de vie. Mais il sait déjà qu’il fera dans le bio. C’est qu’Yvan ne rigole pas avec le bien-être de son entourage.« Ça a toujours été pour la santé et la sécurité de ma propre famille, mais aussi de mes travailleurs. » Il affirme avoir toujours eu peur des insecticides. « C’est une belle peur viscérale, que j’ai toujours eue et que j’ai encore. Ça a été, je pense, notre meilleure alliée dans le domaine [du bio]. » 


Le vignoble a donc toujours été « officieusement » bio, mais n’était pas certifié à l’époque, précise Yvan, qui a entamé les démarches auprès d’Ecocert Canada en 2017. « On était en agriculture raisonnée depuis le début, donc le virage s’est fait relativement facilement. Quand on s’est convertis au bio, on a décidé de tout certifier. Aujourd’hui, nos 23 hectares sont certifiés bio, et tous nos vins le sont aussi. » Le domaine est ainsi devenu le plus grand vignoble au Québec certifié bio à 100 % à n’utiliser que ses propres raisins.

 

Des raisons et des saisons

« Ça a été beaucoup d’essais-erreurs, les premières années », se remémore Yvan. « On a toujours appris de ce qu’on faisait mal! Et peu à peu, l’entonnoir se rapetisse, et on voit ce qu’on fait bien. » L’ex-ingénieur a mis son esprit critique à profit dans sa nouvelle vocation. « Les ingénieurs sont un peu tête dure et tannants de nature. Ils questionnent tout! Et je pense que ça m’a beaucoup servi dans le vignoble. Si je n’avais pas de raison convaincante de faire quelque chose, je ne le faisais pas. » 

Loin de prétendre détenir les clés de la vérité, le vigneron affirme être encore – peut-être plus que jamais –, en mode apprentissage. « Il me semble que plus je vieillis, moins j’en sais! », affirme-t-il humblement. « On se remet en doute et en danger à chaque début de saison. C’est un éternel recommencement. »

Ça prend un village pour faire un vignoble

Côté champ, les sols ont toujours été la priorité. « Dès le départ, on a commencé à travailler les sols avec le fumier des chevaux des voisins », raconte Yvan. « Aujourd’hui, notre microcosme d’insectes et de vivants fait en sorte que tout s’équilibre naturellement. Après, c’est l’amour qu’on amène aux vignes tous les jours. On a une personne aux deux hectares, c’est beaucoup, beaucoup! Mais je pense que cette attention-là qui est portée aux vignes, ça se sent et ça se goûte. En tout cas, j’espère... » Après avoir goûté à ses vins, on ne peut que répondre par l’affirmative!

« C’est tellement un travail d’équipe, notre affaire! Ici, on est 19, et tout le monde a mis sa pierre. La mienne n’est pas plus grosse que les autres », affirme-t-il avec conviction. Quand il y a un problème, chacun amène son point de vue et propose des solutions. Et quand tout le monde unit ses forces de la sorte, « c’est magique, ce qui se passe ».

Domaine Bergeville : bio de naissance

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Crédit photo: Emmanuelle Roberge

Scientifiques de formation, Eve Rainville et Marc Théberge sont un couple en affaires comme dans la vie. Leur Domaine Bergeville est le seul vignoble au Québec à avoir choisi l’avenue bio ET biodynamie dès le jour un. 

En 2008, ils ont acheté une prairie à Hatley, en Estrie, « le berceau du mouvement biologique québécois », explique Eve. « Dès qu’on a commencé à planter, on a demandé la certification bio et biodynamique. » Leurs ceps n’ont donc connu ni produit chimique, ni pesticide de synthèse. Un aspect d’autant plus important que le vignoble a aussi vu grandir leur progéniture.

 

Biodynamie 101

Parlant de famille, Eve voit chaque vigne comme un « enfant» qu’il faut aider à grandir et à rendre autonome. « On doit lui donner des bases solides et le guider, mais quand même lui laisser de la liberté. C’est un peu ça, la biodynamie : rendre nos vignes autosuffisantes au niveau de leur santé. » Cette vision de la terre en tant qu’organisme vivant est au cœur des principes d'agriculture biodynamique. « On veut être dans le champ tous les jours; on veut être en synergie avec le vignoble », explique-t-elle. En d’autres mots, c’est un travail d’équipe... avec la terre!

Si le bio et la biodynamique se passent autant au champ que dans la cave, les mêmes règles ne s’appliquent pas partout. « En biodynamie, c’est beaucoup plus restrictif qu’en bio, si on peut dire. Au départ, on va intervenir le moins possible en cuverie. Et ça, on peut se le permettre en bio et en biodynamie parce que le raisin est d’une qualité incroyable. Notre rôle, comme vignerons, c’est de guider le jus de raisin pour qu’il demeure à son état instable et vivant, qui est le vin, sans tourner au vinaigre », résume-t-elle. 

Cet investissement de temps, de rigueur et d’énergie permet de créer un cercle vertueux. « En agriculture conventionnelle, on prend beaucoup de la terre et on redonne très peu. Pour moi, le bio, c’est de donner à la terre autant qu’elle nous redonne. Et en biodynamie, on va redonner plus que l’on prend à la terre », résume Eve.

 

« Pour moi, le bio, c’est de donner à la terre autant qu’elle nous redonne. » - Eve Rainville, Domaine Bergeville

Vignoble Château de Cartes : faire le saut vers le bio

Vignoble Chateau de CartesVignoble Chateau de Cartes

Après une dizaine d’années de métier, le vigneron Stéphane Lamarre, du vignoble et cidrerie le Château de cartes, à Dunham, est maintenant prêt à embarquer dans l’aventure bio.  « J’ai toujours pratiqué l’agriculture raisonnée, un hybride entre conventionnel et bio. J’avais peur de me lancer, parce que le chemin pour aller dans le bio est beaucoup plus nébuleux que pour le traditionnel. »

Qu’est-ce qui l’a décidé? « J’ai des amis qui sont dans le bio et qui m’ont ouvert les yeux. » Plutôt que de changer sa culture du tout au tout, Stéphane a commencé à s’informer, à échanger avec des gens du milieu, question de se mettre en confiance. Puis, un jour, il se décide à cesser d’utiliser des produits dits systémiques, un traitement préventif efficace, mais très chimique. Le premier pas avait été franchi.

Petite parcelle deviendra grande

Stéphane a planté du Cayuga White, « un vieux cépage qui a fait ses preuves et qui n’a presque pas besoin d’intervention », sur 3 des 11 hectares du vignoble. Cette parcelle sera conduite en bio dès juillet cette année, suivant la certification Ecocert. Il faudra toutefois patienter avant de pouvoir goûter aux premières cuvées.

Stéphane insiste sur la nuance entre vin bio et vin provenant de raisins bio : « Moi, pour commencer, je me limite à ce que les raisins soient issus d’agriculture biologique. Je ne peux pas m’engager à faire du vin bio tout de suite. C’est une autre étape. Je me donne au moins trois ans pour en arriver là. »

Changer les choses un hectare à la fois

Bio, pas bio, les affaires roulent au Château. « Ça fait 30 ans que je fais du vin et j’en manque chaque année! » Alors pourquoi se donner tant de mal pour changer une formule gagnante? « C’est d’abord une démarche personnelle. Ensuite, si le consommateur embarque, tant mieux. Mais je veux me prouver à moi-même que je peux faire mieux. » 

Plus qu’un défi, il voit cette démarche comme un acte de respect. « Ma réflexion, c’est plus de dire : qu’est-ce que je peux faire pour la Terre; pour ce petit carré-là que j’exploite et dont, égoïstement, je pense être propriétaire? J’essaie d’être la petite goutte d’eau dans l’océan qui va peut-être faire une différence à long terme. Qu’est-ce que je peux faire pour respecter cet endroit-là? Je me dis que c’est ma façon de dire merci. »  

Car selon lui, c’est avec une accumulation de petits gestes qu’on allégera la facture environnementale.

« C’est ma façon de dire merci. » - Stéphane Lamarre, Château de cartes

Vignoble bio QuébecVignoble bio Québec
Crédit photo: Emmanuelle Roberge

Une tendance là pour rester?

Le Domaine Bergeville a ouvert les portes de son cellier pour la première fois en 2014, et 9 ans plus tard, Eve Rainville observe une très grosse différence quant à ce qui attire les consommateur.trice.s chez eux. « Au début, le fait qu’on était bio nous amenait peut-être 2 ou 3 % plus de clients. C’est plus le fait qu’on faisait de la bulle qui était “wow”! Maintenant, on voit un réel engouement pour les vins vegan, bio, nature. Mais c’est vraiment la jeune génération qui augmente notre clientèle. Tout ce qui est le plus naturel, le plus authentique possible, ça leur parle. » 

Aucun doute : le bio et le local ont la cote. Mais cet engouement est-il passager? Mélanie Gore, du Conseil des vins du Québec, voit plutôt ce phénomène comme une « tendance de fond » qui se dessine depuis un bon bout de temps. Selon elle, la transition vers le bio est au cœur des préoccupations des vigneron.nes depuis maintenant plusieurs années, et elle va de pair avec l’approche artisanale de bien des producteur.trice.s d’ici. « Aller chercher la certification, c’est comme la coche ultime! », s’exclame-t-elle. « Être bio, ça s’inscrit dans la continuité de leur désir d’avancer et de s’améliorer. »

« Je pense que c’est parti pour que ce soit là encore pour longtemps! », seconde Eve. « Si on a une chance comme population de revenir à la terre, je crois que ce mouvement-là est vraiment là pour perdurer. Et je crois que les circonstances présentes font que les gens vont revenir à la terre, d’une façon ou d’une autre. »

 

Parlez-vous bio?

  • Bio : L’agriculture biologique exclut l’utilisation d’insecticides et de pesticides de synthèse. On se tourne plutôt vers des méthodes et des matières naturelles pour préserver la santé des sols et de la vigne.
  • Biodynamie :  Les viticulteur.trice.s qui optent pour la biodynamie appliquent les principes d'agriculture biologique, mais en allant encore plus loin.
  • Vin nature : Vin issu de raisins cultivés en bio ou en biodynamie. Aucun intrant n’est autorisé dans son élaboration, ce qui en fait une technique très contraignante.
  • Vin Demeter : Vin biodynamique certifié, satisfaisant aux exigences de l'agriculture biologique et répondant au cahier des charges Demeter.

Pour en savoir plus sur ces différentes distinctions, consultez L’ABC des vins bio.

Bio en bouteille

Pour être certifié bio, un vin doit répondre à une liste de critères rigoureux, dont ceux-ci :

  • Contribue à la protection de l'environnement et du climat
  • Conserve la fertilité des sols
  • Favorise le maintien de la biodiversité
  • Élaboré dans le respect des cycles naturels
  • Exempt de produits chimiques de synthèse et d'OGM

Source : Groupe Ecocert. 2021. « Agriculture biologique Canada ».

https://www.ecocert.com/fr-CA/certification/agriculture-biologique-canada-cor

 

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