



De somptueux lustres, d’anciennes cartes du monde, une boule de cristal, des insectes figés dans la résine, des squelettes d’animaux et autres créatures sous cloche… Il suffit de mettre les pieds Chez Ernest : Comptoir de curiosité, sur la Plaza Saint-Hubert, à Montréal, pour se sentir comme dans une nouvelle d’Edgar Allan Poe. Sur une tablette, à côté de papillons épinglés, des bouteilles d’absinthe sont alignées. De son propre aveu, Renaud Marchal, proprio du bar, a choisi de servir cet alcool mythique pour son aura de mystère qui contribue à l’atmosphère des lieux.
« À la base, on n’était pas des absinthiophiles. On a fait de belles découvertes, surtout avec les absinthes québécoises. »
— Renaud Marchal, propriétaire Chez Ernest: Comptoir de curiosités


lLa plupart des personnes qui passent la porte de Chez Ernest n’ont jamais bu d’absinthe, mais sont curieuses de s’y initier. Et, une fois qu’elles y goûtent, elles reviennent avec leurs ami.e.s pour leur faire découvrir la fée verte (le surnom de ce spiritueux qui prend parfois une teinte émeraude). Renaud leur suggère habituellement La fleur bleue de l’Absintherie des Cantons, à Granby. « C’est vraiment un de mes coups de cœur ! », s’exclame-t-il.
Parmi la douzaine d’absinthes qui figurent sur la carte de Chez Ernest, cinq proviennent d’ici, et toutes sont servies à l’ancienne avec un verre et une cuillère à absinthe, un cube de sucre et une jolie fontaine d’eau de style art nouveau. « Je conseille toujours de commencer par la moitié du sucre, de verser cinq ou six gouttes d’eau à la fois, de goûter et de l’allonger au besoin. La première gorgée est très anisée. L’absinthe s’ouvre au fur et à mesure qu’on la dilue, faisant place aux saveurs des autres plantes qui la composent. » Selon lui, il n’y a pas de bonne façon de déguster ce spiritueux: on peut le boire pur ou le noyer. L’idée est de trouver le dosage qui plaît à notre palais.
La meilleure absinthe au monde
Jean-Philippe Doyon, lui, est un vrai absinthiophile. D’un seul souffle, il peut résumer les deux siècles d’histoire de cet alcool : les premières distilleries ouvertes à Couvet, en Suisse, puis à Pontarlier, en France, l’énorme popularité de la liqueur verte tout au long du 19e siècle, sa représentation dans la littérature et l’art, la légende voulant qu’elle soit hallucinogène ainsi que son bannissement en 1910, en Suisse, et en 1915, en France. Cette mauvaise réputation, l’absinthe la doit injustement à une composante toxique qu’on retrouve dans la plante du même nom. « Selon certaines études, il faudrait boire 70 litres d’absinthe pour ressentir les effets négatifs de cette molécule nommée la thuyone », relativise Jean-Philippe.


« J’ai été complètement charmé par sa complexité aromatique. Au point de décider de faire la route de l’absinthe en France et en Suisse. »
— Jean-Philippe Doyon, fondateur Absintherie des Cantons




Il a découvert la fée verte en 2011, année de sa légalisation en France, alors qu’il avait 21 ans. Trois ans plus tard, il fondait l’Absintherie des Cantons avec ses parents, Michel et Claudette. Pour créer sa recette, Jean-Philippe est remonté à la source : « J’ai débroussaillé des documents historiques, dont le Traité des liqueurs de Pontarlier, un ouvrage du 19e siècle. » Ses efforts ont été récompensés : la Fleur bleue a été nommée meilleure absinthe au monde en 2022 aux World Drinks Awards de Londres, tandis que la Joual vert, une absinthe verte que Jean-Philippe obtient grâce à une seconde macération, s’est classée en seconde position.
Des Cantons à la bouteille
Selon Jean-Philippe, le terroir des Cantons de l’Est y est pour beaucoup dans le succès de ses alcools. « Ce qui fait une bonne absinthe, c’est la qualité des plantes », soutient-il. Il faut dire que le climat de la région est semblable à celui de Val-de-Travers, en Suisse, le berceau de l’absinthe. C’est ce qui a permis à la famille Doyon d’exploiter la première (et encore à ce jour la plus importante) plantation d’absinthe au Canada, qui totalise 4 000 plants. Parmi les 13 plantes qui entrent dans la composition de la Fleur bleue et de la Joual vert, seuls le fenouil et l’anis étoilé sont importés. Les autres ingrédients sont cultivés dans leurs champs de Roxton Pond : la grande et petite absinthe (deux variétés d’armoises), l’hysope, la mélisse, l’angélique, la camomille, l’anis vert, la verveine, la menthe poivrée, la coriandre et l’écorce de réglisse.
« Les gens ont découvert les spiritueux québécois et sont curieux d’essayer l’absinthe d’ici », observe le proprio de l’Absintherie des Cantons. Il n’est d’ailleurs pas le seul à distiller la boisson verte au Québec. Les adeptes peuvent savourer la Courailleuse, de la Distillerie Fils du Roy, le Balzac de la Distillerie Mariana, mais aussi l’absinthe de Menaud, à Charlevoix, qui sera offerte sous peu. Jean-Philippe voit d’un bon œil cet engouement. « On espère que l’absinthe québécoise fera honneur à la tradition européenne. » On n’en doute pas!


La fée verte de Chez Ernest: Comptoir de curiosité
30 ml (1 oz) d'absinthe
15 ml (1/2 oz) de jus de lime
15 ml (1/2 oz) de sirop simple
180 ml (6 oz) de prosecco
Dans un shaker rempli de glaçons, ajouter tous les ingrédients sauf le prosecco.
Agitez vivement de 8 à 10 secondes
Filtrez le contenu du shaker à l'aide d'une passoire à glaçons dans une coupe Marie-Antoinette.
Allonger avec le prosecco
Garnir d'une écorce de citron
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