Armée de bouteilles de vin du Québec choisies sur les bases théoriques des accords possibles, j’ai convié mes collègues photographe et producteur à ce repas, faisant ainsi d’eux mes « cobayes ». Cap sur l’Érablière Meunier, en Montérégie, où je mettrai mes instincts de sommelière à l’épreuve!
Devant un menu traditionnel des sucres, le défi réside dans la multitude de plats avec lesquels on souhaite accorder les verres. Pour que l’expérience soit intéressante, il faut équilibrer le sucre et la richesse des plats avec l’acidité des vins. Le repas nous semblera ainsi moins lourd! Les vins québécois, grâce au climat froid dont ils sont issus, possèdent cette acidité naturelle plus marquée que l’on recherche. Mais assez parlé, il est temps de passer au banc d’essai (un banc en bois, dans ce cas-ci).
L’apéro, ou se préparer à la suite
Pour éveiller les papilles, rien de mieux qu’un vin ou un cidre effervescent. Je lance le bal avec le cidre bio du Domaine Lafrance, offert en format canette. Parfait pour profiter du soleil printanier en jasant près de l’enclos à cochons, en attendant les retardataires! C’est un cidre pétillant sec et rafraîchissant, des qualités organoleptiques tout à fait indiquées dans ce contexte. Ça commence drôlement bien l’après-midi!
Premier service : tout doucement
Premier service : soupe aux pois, pain maison, cretons et marinades. Pour accompagner le premier service de ce menu traditionnel, j’opte pour le pétillant naturel, dit « pet nat », du domaine Château de Cartes. Élaborée à partir des cépages hybrides québécois sabrevois et frontenac gris, cette bulle possède toute la fraîcheur nécessaire pour aller de pair avec la soupe aux pois, entre autres. Il s’agit ici d’un accord de texture, puisque les lies du vin font écho au côté consistant de la soupe. Le tout est complété par une acidité rafraîchissante et par une franche effervescence, qui nous met en appétit. Ça tombe bien, on en aura besoin!
L’avis de l’équipe : Tout le monde a apprécié le « pet nat », affirmant que celui-ci avait de la matière et était vraiment séduisant. J’étais soulagée : ma crédibilité n’était plus en jeu et je gagnais la confiance de mes partenaires. On pouvait maintenant poursuivre!
Deuxième service : du costaud et deux choix de vin
Ce deuxième service coïncide avec l’arrivée des saucisses dans le sirop et du jambon à l’érable, entre autres protéines. S’y ajoutent les traditionnelles oreilles de crisse (les meilleures jamais goûtées!), l’omelette, les pommes de terre rôties, les fèves au lard et les « grillades brunes », surnom que l’Érablière Meunier donne à son bacon! Ici, la recherche de l’accord passe par le sotolon, un composé aromatique très puissant que l’on retrouve dans le sirop d’érable, mais également dans le chardonnay et les vins boisés. Je ne me suis pas trompée en choisissant le chardonnay La Côte du domaine Coteau Rougemont, un vin blanc élevé partiellement en fûts. La rondeur et les notes boisées que lui confèrent l’élevage se traduisent par un équilibre irréprochable. Son acidité et sa structure lui permettent de tenir tête aux saveurs généreuses, alors que la finale saline du vin répond harmonieusement au salé des plats.
Vous préférez le vin rouge? Pas de problème! La cuvée Rouge Bourbon du vignoble Le Chat Botté est une option tout aussi indiquée. Élevé en fût de bourbon, ce qui l’entraîne aussi sur la piste aromatique du sotolon, il est charnu et structuré, sans être lourd. Moi qui m’attendais à moins de légèreté, j’ai été agréablement surprise par ses tanins doux et son profil équilibré. Aux côtés de ce rouge, le jambon à l’érable exprimait davantage ses saveurs, relevant ainsi de l’expérience gastronomique…ou presque. Comme quoi le même menu peut aussi bien s’accomoder d’un blanc que d’un rouge!
L’avis de l’équipe : Ceux qui partageaient ce repas avec moi ont unanimement préféré le vin blanc. Certains m’ont même avoué en début de repas ne pas être de grands amateurs de vins québécois. J’étais plus qu’heureuse de leur faire changer d’idée avec mes accords de cabane!
Dernier service : les desserts
Dernier service : tarte au sirop d’érable, pouding chômeur, crêpes et gaufres nappées (vous l’aurez deviné) de sirop d’érable!
Un principe bien simple des accords avec des mets sucrés, c’est que le vin doit être aussi sucré – sinon plus – que le plat. Partant de ce principe, un cidre de glace représentait pour moi une option évidente pour le service des desserts. Je me suis rappelé que j’avais en cave un cidre de glace qui y dormait depuis plus de 10 ans. Une excellente occasion de tester la garde du produit. Quelle agréable surprise! L’acidité était encore bien présente et le sucre semblait adouci, tandis que la longue finale sur le fruit était tout à fait charmante. Si le cidre se dégustait bien en solo, il magnifiait chacun des desserts. Ma préférence est allée au pouding chômeur, de par la douceur enveloppante des sucres en bouche et l’acidité du cidre qui venait contrebalancer le tout. Un accord sans fausse note!
Les cidres de glace québécois possèdent tout ce qu’il faut de sucre et d’acidité pour traverser le temps. Faites-en l’essai en glissant une bouteille en cave dès aujourd’hui!
Impatient.e? Voici deux cidres de glace ayant déjà vieilli quelques années en bouteille :
La grande finale : la tire sur la neige!
Il restait du cidre de glace dans mon verre, et j’ai naturellement visé la table où l’on servait l’incontournable tire sur la neige. Emballée et un brin surexcitée – tout le sucre ingéré étant peut-être à blâmer! –, j’ai suggéré aux autres d’amener leur verre dehors. Encore ici, le cidre de glace vieilli s’agençait parfaitement à la tire. Si ces deux éléments étaient intéressants pris séparément, ensemble, c’était une autre expérience. J’ai presque eu envie de plonger mon bâton couvert de tire dans mon verre de cidre! À essayer absolument.
J’ai terminé la journée avec de nouveaux amis à qui j’avais non seulement fait découvrir de nouveaux produits, mais surtout, dont j’avais piqué la curiosité et à qui j’avais donné envie d’explorer les vins québécois et de tester de nouveaux accords.
L’expérience de cette sortie ne m’a donné qu’une envie : retourner à la cabane à sucre au plus vite! Elle m’a aussi convaincue hors de tout doute que les produits québécois sont vraiment les meilleurs alliés des plats de cabane à sucre. Après tout, ils sont tous deux fièrement de chez nous!
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