Eau-de-vie bien de chez nous issue de la fermentation de sève d’érable québécoise concentrée, l’Acerum possède une saveur délicate et complexe à mille lieues de celle de la tire sur neige. Corinne Cluis, fondatrice de la distillerie FOVE et biologiste moléculaire spécialisée dans les qualités aromatiques des levures, démystifie ce qui fait la singularité de ce spiritueux.
Quand l'érable d'ici dépayse
À quoi s’attendre si on n’y a jamais goûté? D’abord, à une certaine légèreté. Dans sa version blanche, il évoque la grappa, la téquila ou le saké, avec des notes dominantes de poire, de réglisse et de melon, ainsi qu’une signature végétale et florale. Plus proche d’un whisky ou d’un cognac, l’Acerum ambré se distingue par ses arômes beurrés et boisés, sa rondeur en bouche et son goût de caramel – mais attention, même cette déclinaison n’est pas sucrée! Comment l’expliquer?
«Bien que l’Acerum est un produit d’érable, il n’a pas le goût de l’érable. Ça crée une dissonance cognitive à la dégustation. Pour un alcool qui est à 40%, ça ne brûle pas. C’est l’érable qui apporte ça. »
– Corinne Cluis
Une précieuse alchimie dans le baril
Pour obtenir du sirop, l’eau d’érable doit être bouillie. La chaleur entraîne alors des réactions de Maillard et de caramélisation, des processus chimiques lors desquels les sucres se transforment et de nouveaux composés se créent, qui confèrent au sirop sa douceur et sa touche umami – mais qui ne survivent pas à la distillation. Ainsi, selon Corinne, c’est principalement la perte de cette saveur caramélisée particulière durant la distillation qui fait qu’on ne retrouve pas la signature de l’érable dans l’Acerum.
Déjà, à l’étape précédente – soit celle de la fermentation –, le profil gustatif évolue. «Les levures métabolisent les sucres en alcool et fabriquent d’autres molécules aromatiques à partir de celles [contenues] dans le sirop d’érable, qui elles, sont conservées dans la distillation,» explique la spécialiste. Et chaque souche de levure apporte des qualités gustatives différentes. Ainsi, Corinne a utilisé des levures de champagne dans son Acerum blanc, pour leur légèreté et leurs arômes de fruits verts; et des levures de cachaça dans sa variante ambrée, pour leurs notes plus rondes de fruits mûrs et de fleurs fanées.
Puis, lors de la distillation, le choix d’un alambic en cuivre n’est pas anodin: «Combiné à la chaleur, le cuivre agit comme un catalyseur en favorisant les réactions chimiques qui forment des esters, soit la classe de molécules qui donne des notes florales et fruitées. Ça apporte une touche hyper parfumée.»


Dans le cas de l’Acerum ambré, le vieillissement en fûts de chêne brûlés ou grillés entre également en ligne de compte. D’une part, le contact avec le bois libère diverses molécules, qui ajoutent des notes de caramel et de vanille. D’une autre, l’oxygène pénètre le bois, qui n’est pas hermétique. En découlent des réactions d’oxydation dans le baril qui transforment les molécules, en adoucissant leur profil gustatif et en y injectant parfois même une touche fruitée.
Comment boire l'Acerum – une foule d'idées à savourer
Par où commencer pour s’approprier ce produit de chez nous? La version ambrée se travaille en cocktail comme un whisky. Ainsi, le old fashioned lui sied à merveille, car l’amertume du zeste d’orange complémente la rondeur du spiritueux. Corinne suggère de remplacer le sirop simple par du sirop d’érable. De plus, l’Acerum est naturellement une boisson de choix pour la cabane à sucre! Non seulement se marie-t-il très bien aux desserts à l’érable, mais son profil sec compense la lourdeur des repas traditionnels. À ce titre, la distillatrice ne manque pas d’idées:
«C’est un excellent digestif, tel quel, dans un café, dans un trou normand avec un sorbet à la pomme, à la poire ou aux agrumes, ou dans le réduit, un concentré d’eau d’érable qui se boit chaud, au lieu de l’habituel gin.»
L’Acerum blanc est quant à lui sublimé par l’ajout d’agrumes et d’ingrédients acidulés, qui rehaussent sa fraîcheur et sa signature végétale. On pensera alors à réinterpréter les margaritas, sour et daiquiris de ce monde. Et il brille aussi en cuisine: dans un gravlax à base d’Acerum ou des crevettes poêlées et flambées avec cette eau-de-vie, par exemple.
Une tradition du partage à alimenter
Peu importe comment on décide d’explorer cette eau-de-vie d’érable, c’est une boisson conviviale, qui invite au partage des saveurs et des moments de qualité à la fin d’un repas. C’est également un produit pionnier: premier spiritueux en voie d’obtenir sa propre indication géographique protégée au Québec, c’est le seul alcool qui ne peut être fabriqué que dans la province. En effet, pour porter le nom Acerum, un produit doit non seulement obligatoirement se composer de sève d’érable d’ici, mais l’ensemble du processus, de la fermentation à l’embouteillage, doit avoir lieu en sol québécois. «Personne n’a fait ça dans le monde, tout est à écrire, c’est hyper stimulant!» s’exclame la biologiste de formation. Elle aimerait que les gens d’ici se l’approprient, en soient fiers et le fassent découvrir au-delà du territoire, ajoutant que l’Acerum a le potentiel d’engendrer un phénomène similaire à celui du cidre de glace il y a quelques années.
Elle trace un parallèle entre ce spiritueux local, profondément identitaire, et le mouvement de réappropriation du terroir dans la gastronomie québécoise. «Depuis une dizaine d’années, des chefs font une cuisine hyper raffinée à partir de produits du terroir. Pour l’Acerum, c’est un peu la même chose parce qu’on prend le sirop d’érable, ancré dans la tradition québécoise, et on le travaille pour en faire carrément autre chose.» Voilà qui donne envie de se la couler douce, en levant fièrement son verre d’Acerum!
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